

Après treize mois de tractations, le Liban a un nouveau gouvernement, mais la crise est toujours profonde. Le pays connait des pénuries d’essence, d’électricité et de médicaments. Pour les malades du cancer, il est devenu quasiment impossible de se soigner
Les défis qui attendent le nouveau gouvernement libanais sont immenses, alors que le pays traverse une crise économique et financière sans précédent, parmi les pires que le monde ait connues depuis 1850, selon la Banque mondiale. Deux tiers des Libanais ont basculé dans la pauvreté. La livre libanaise a perdu dix fois sa valeur face au dollar en deux ans. Et le pays manque de tout : essence, électricité, et même médicaments, dont ceux pour traiter les cancers.
Carine a 42 ans, elle est atteinte du lymphome de Hodgkin. Après deux traitements et deux rechutes, elle a commencé en mai dernier un troisième protocole pour combattre ce cancer. "Quand j’ai commencé, le médicament était disponible au Liban, mais il y a à peu près un mois et demi, on m’a indiqué qu’il ne l’était plus, donc j’ai commencé à faire jouer des contacts en Jordanie, à Dubaï, en France, en Turquie et même en Irak", explique cette mère de famille.
"Vivre sans savoir si le traitement sera disponible dans le futur"
Grâce à des connaissances, elle a finalement pu trouver le médicament principal de sa thérapie à l’étranger et c’est un médecin qui rentrait au Liban qui lui a ramené en avion, dans sa valise. "Je n’ai pas la dose complète, mais la moitié, c’est mieux que rien. C’est très frustrant, très stressant parce que c’est nous qui devons chercher ces médicaments, c’est vivre sans savoir si le traitement va être disponible dans le futur, mais c’est la vie", explique-t-elle.
Suspendue à l’évolution de son cancer, elle l’est aussi à la crise au Liban. Avec l’effondrement de la livre libanaise, les médicaments importés en dollars ont quasiment disparu du marché. Ils sont devenus hors de prix, inaccessibles, comme de nombreux traitements alors que l’État et l’assurance maladie en faillite ne peuvent plus suivre. "Avant l’effondrement de la monnaie, une session de chimiothérapie coutait environ 500 000 livres libanaises, ce qui faisait à peu près 300 dollars, mais aujourd’hui, c’est deux millions de livres libanaises", décrit Hani Nassar, 48 ans, qui a fondé l’Association Barbara Nassar pour le soutien aux malades du cancer après la mort de sa femme il y a quelques années.
Les tarifs montent, mais les salaires eux n’ont pas bougé, tout comme la part prise en charge par l’État et en quelques mois, les locaux de l’association se sont transformés en pharmacie informelle. Dans toutes les pièces, des cartons et des boites de gélules, d’ampoules et de comprimés reçus en donation. "Les malades qui sont père ou mère de famille, qui ont des familles à charge, ont décidé de suspendre leurs traitements, donc ils vont mourir", résume Hani Nassar, en passant en revue les médicaments nécessaires pour les chimiothérapies, les radiothérapies, des antibiotiques ou des antidouleurs dont les prix ont flambé mais qu’il parvient à trouver.
Solidarité et marché noir
Pour l’association, impossible de lever des fonds au Liban car la population s’est trop appauvrie et que l’argent des Libanais est bloqué par les banques. Mais il y a la solidarité libanaise : la diaspora qui envoie de l’argent, des médicaments ou des génériques, des volontaires qui voyagent pour ramener ça au Liban, des anciens malades ou leurs proches qui donnent ce qu’ils n’ont pas utilisé.
"Ce sont des médicaments que ma mère utilisait avant de mourir il y a 40 jours", confie Tarek, 35 ans, qui vient déposer des sacs au siège de l’association. "On est venu pour aider les autres, surtout parce que ces derniers mois, même dans les hôpitaux il n’y a plus de médicaments ! Ma mère était une femme généreuse, elle aidait les autres, c’est pour le repos de son âme qu’on fait ça", ajoute encore le jeune homme.
Pour dénoncer l’incurie des responsables politiques qui ont mis le Liban à genoux, provoquer une prise de conscience et réclamer un accès aux traitements et aux médicaments, l’association Barbara Nassar et d’autres organisations ont manifesté à Beyrouth, avec des malades et des médecins ( #wewantcancertreatment).
La Banque centrale a promis de débloquer des fonds mais on est très loin du compte selon le Dr Fadi Nasser, oncologue et chef de service à l’Hôtel Dieu de France, l’un des grands hôpitaux universitaires du Liban. "On a à peu près 20 000 malades en cours de traitement au Liban. Par exemple, pour l’immunothérapie, on a reçu de quoi traiter trente malades alors que j’ai au moins cent malades qui doivent recevoir le traitement", indique le médecin. "On est obligé de réduire les doses pour donner à un plus grand nombre de personne et de choisir entre les malades : quels sont les plus graves, les plus jeunes, ce sont ces choix thérapeutiques qu’on fait actuellement", déplore-t-il.
Choix difficiles mais inévitables, qui poussent aussi des malades en détresse à se tourner désormais vers le marché noir où 70% des médicaments sont en fait falsifiés, selon lui.