L’Europe aura besoin de plus de 50.000 tonnes de lithium par an d’ici 2030. Or, elle est très dépendante de l’étranger. Un projet d’extraction de lithium dans les eaux sous-terraines d'Alsace est actuellement expérimenté au nord de Strasbourg.
Au milieu des champs, dans un labyrinthe de tuyaux et de pompes, la centrale géothermique de Rittershoffen (Bas-Rhin) pompe de l'eau à 170°C à 2.600 mètres de profondeur. Elle produit de la chaleur pour une usine voisine agroalimentaire. Mais, un jour, elle pourrait aussi fournir du lithium, ce métal stratégique indispensable aux batteries électriques des voitures et autres nouvelles technologies. "On sait depuis longtemps qu’il y a du lithium dans les eaux géothermales, il y en a à peu près 170 milligrammes par litre d’eau. Simplement, aujourd'hui, le lithium devient stratégique en termes de souveraineté nationale", explique Christophe Neumann, directeur du développement industriel pour Electricité de Strasbourg, gestionnaire de la centrale.
Et ce serait faire d’une pierre deux coups pour Electricité de Strasbourg car, "si on peut en même temps que produire de l’énergie avec la géothermie, extraire du lithium, c’est évidemment un plus pour notre activité", résume Christophe Neumann.
La quête d’un lithium bas-carbone et "made in France"
Pour récupérer ce lithium qui dort dans les saumures du sous-sol, un module d’extraction breveté a été branché sur la tuyauterie de la centrale géothermique de Rittershoffen, pendant plusieurs mois. L’expérimentation vient de s'achever et elle est visiblement concluante. "Nous avons greffé un module d'extraction sur le circuit. On pompe l’eau du sous-sol l'eau, on lui fait faire un petit détour pour prélever le lithium et elle repart dans les conduites. L’important est que le procédé ne perturbe pas le fonctionnement de l’usine géothermique. C’est le cas. Nous avons a réussi à extraire du lithium en continu", estime Christophe Neumann.
À la sortie de la centrale géothermique, le lithium est sous forme liquide, il doit ensuite être transformé et raffiné pour devenir une poudre blanche farineuse. Le groupe minier et métallurgique Eramet coordonne ce projet expérimental d’extraction de lithium en Alsace, baptisé EuGeLi, pour European Geothermal Lithium Brine. La société française a déjà investi dans un site similaire en Argentine, l'un des pays qui fournit le plus de lithium au monde, mais elle croit aussi au potentiel du sous-sol alsacien. L'enjeu est de produire du lithium durable et "made in France" explique Nicolas Verdier, de la direction de la stratégie d'Eramet. "On s'accroche à une source d'eau thermale qui elle-même est une énergie renouvelable, donc on va pouvoir produire localement un produit sans CO2", dit-il. Le lithium extrait à Rittershoffen serait raffiné sur place et pourrait alimenter les "gigafactories" de batteries électriques en construction notamment dans le Nord de la France ou ailleurs en Europe.
Reste à trouver le modèle économique et la bonne taille pour que le projet alsacien soit rentable. Les études sont en cours avant de passer à la phase industrielle. "Le potentiel de Rittershoffen seul est de l’ordre de 2.000 à 4.000 tonnes de lithium par an. Ce qui veut dire que ce n’est pas un site suffisant en terme de taille pour arriver à une exploitation industrielle. Globalement, ce qu’on essaye d’atteindre c’est une taille critique de l’ordre de 10.000 tonnes par an. Donc il faudrait un site comme Rittershoffen et peut-être trois ou quatre autres sites supplémentaires que l’on agrègerait ensemble pour atteindre cette taille critique", précise Nicolas Verdier.
Pour être rentable, il faudrait beaucoup plus de puits
Ce projet d'extraction de lithium est soutenu par Bruxelles, financé à 85 % par l'organisme de recherche et d'innovation européen, EIT Raw Materials. Mais l'enjeu est de sécuriser une partie de l'approvisionnement en lithium de l'Europe presque entièrement dépendante de l'étranger, surtout d'Amérique latine, d'Australie, et de Chine.
"Les experts s'accordent à penser que l'Europe aura besoin grosso modo de 50.000 à 60.000 tonnes par an de lithium métal à l'horizon 2030. Etant entendu que cela dépendra quand même de la vitesse à laquelle se déploient les véhicules électriques", détaille Christophe Poinssot, directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, l’établissement public français chargé de gérer les ressources du sous-sol. "Nous avons des réserves en Europe, en particulier dans les eaux thermales du bassin rhénan. Donc, nous avons tout intérêt, pour reconquérir notre souveraineté, à exploiter ces ressources en prenant un maximum de précautions vis-à-vis de l'environnement plutôt que de laisser faire ces opérations à l'étranger dans des conditions que l’on ne maîtrise pas toujours bien."
D’après un récent rapport commandé par le gouvernement français, en 2030, l'Europe ne produira pas plus de 30% de ses besoins en métaux stratégiques : lithium, mais aussi cobalt et nickel indispensables pour les nouvelles technologies. Les eaux géothermales du sous-sol alsacien pourraient sécuriser une petite partie de l’approvisionnement en lithium.