Le fleuve le plus puissant de France sert à la fois à produire de l'électricité verte, refroidir les centrales nucléaires, à l'irrigation, à la navigation ou encore à l'eau potable. Mais y aura-t-il assez d'eau pour servir tout le monde dans quelques décennies ?
Un immense bâtiment en forme de domino posé en travers du Rhône sur 200 mètres. C'est le barrage hydroélectrique de Donzère-Mondragon, à Bollène, dans le Vaucluse, inauguré en 1952, symbole de reconstruction de la France après guerre. L'eau du Rhône alimente les six turbines de la centrale et fournit 800.000 foyers en électricité.
La Compagnie nationale du Rhône (CNR) qui produit cette électricité verte doit déjà s'adapter à un fleuve plus imprévisible, explique son directeur territorial Pascal Albagnac : "On commence à voir avec des productions qui sont fluctuantes d'une année sur l'autre. On a l'impression que cela s'accélère ces dix dernières années."
Parmi les changements les plus notables, le pic du débit printanier du Rhône arrive avec 22 jours d'avance en raison de la neige qui fond plus tôt en montagne. Mais il faut s'attendre à des bouleversements encore plus importants, et surtout à ce qu'il y ait moins d'eau dans le lit du Rhône dans une vingtaine d'années.
Prévenir les conflits d'usages de l'eau
Un enjeu stratégique pour les multiples "usagers" du fleuve. Le Rhône est utilisé non seulement pour l'hydroélectricité mais aussi par le monde agricole, la navigation, pour refroidir les centrales nucléaires ou l'eau potable.
Il faut aussi garder assez d'eau pour la biodiversité insiste Elisabeth Ayrault à la tête de la Compagnie nationale du Rhône pendant huit ans, entreprise qui gère le fleuve depuis la frontière suisse jusqu'à la Méditerranée : "Si nous sacrifions l'environnement et la biodiversité , il n'y aura plus de fleuve."
En raison de ces multiples utilisations, les conflits d'usage de l'eau vont augmenter prévient Elisabeth Ayrault, patronne à la fibre écologiste : "Quand on a moins d'eau, il faut qu'on travaille à dire, est-ce qu'il va y avoir des priorités, des arbitrages. Si chacun fait cet effort aujourd'hui on sera prêt lorsque ca arrivera."
Gérer le Rhône autrement
Ce jour là, au sud de Lyon, le Rhône qui traverse la commune de Pierre-Bénite est puissant, calme et abondant. Jusqu'à présent son niveau n'a pas baissé explique Thomas Pelte, expert du fleuve à l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, mais c'est un sursis. "Le Rhône profite entre guillemets encore de la fonte des glaciers. Pour l'instant il y a toujours de l'eau qui est fournie par la montagne. Il y a encore beaucoup d'eau et du coup, on le gère avec l'habitude qu'il est abondant", dit-il.
Mais ça ne va durer car d'après les données du Giec, avec le changement climatique, "les ordres de grandeur donnés par les scientifiques pour 2050 c'est une baisse du débit moyen annuel du fleuve de l'ordre de - 10 % à - 40 %". Il poursuit : "Le chiffre réel sera sans doute différent mais c'est suffisant pour nous alerter et interroger la question du partage de l'eau."
Protéger le Rhône grâce à des solutions fondées sur la nature
Pour partager et préserver la ressource en eau, il existe des solutions : réparer les fuites sur le réseau d’eau potable, rendre l'irrigation de l’agriculture moins gourmande. Mais pour donner au fleuve toutes les chances de résister au changement climatique il faut aussi laisser la nature reprendre ses droits.
"A la fin du 19ème siècle, début 20ème, l'Homme, pour développer la navigation sur l'ensemble du cours d'eau a concentré les écoulements au milieu du Rhône, par la pose d'enrochements sur les berges, le Rhône a été corseté. Donc des centaines de bras qui existaient naturellement ont été fermés et asséchés", détaille Christophe Moiroud, responsable du pôle environnement de la Compagnie nationale du Rhône qui mène un vaste programme de restauration écologique du fleuve.
Aujourd'hui, le but est au contraire de faire revenir l’eau dans les anciens bras du fleuve, de laisser l'eau circuler naturellement entre le cours central du Rhône et ses bras, entre les eaux de surface et les nappes souterraines. "L'objectif est de pouvoir redonner de la place au Rhône là où c'est possible, là où on n'a pas d'enjeu humain majeur, par l'enlèvement de ces enrochements. Donner un espace de liberté au Rhône pour qu'il puisse divaguer latéralement."
En plus de ramener de la biodiversité, cette "renaturation" permet au fleuve de mieux lutter contre le réchauffement, explique Christophe Moiroud : "En rouvrant les bras du fleuve, en permettant à l'eau d'aller dans la plaine alluviale, on va favoriser les échanges avec les nappes phréatiques qui vont être sollicitées par le réchauffement climatique."
Il faut préserver le Rhône, l'adapter au changement climatique et réfléchir au partage de l'eau pour éviter de lui faire subir le même sort qu’un autre grand fleuve européen, le Tage, régulièrement à sec en Espagne.
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