Les secteurs multi-collèges en panne à Paris

Le collège George-Sand, à Paris
Le collège George-Sand, à Paris ©Radio France - Sonia Princet
Le collège George-Sand, à Paris ©Radio France - Sonia Princet
Le collège George-Sand, à Paris ©Radio France - Sonia Princet
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Les secteurs multi-collèges, censés favoriser la mixité sociale dans les établissements, ne sont plus une priorité. Les secteurs de deux collèges avaient été fusionnés au lancement du projet, quatre nouveaux projets devaient être mis en place à la rentrée prochaine... Mais ils sont tous à l'arrêt aujourd'hui.

Le projet avait été lancé sous le précédent quinquennat dans les 18e et 19e arrondissements de Paris. Les secteurs de deux collèges étaient fusionnés, et au total, six collèges étaient concernés, avec quatre nouveaux projets qui devaient être mis en place à la rentrée prochaine, dans les 10e, 12e, 13e et 20e arrondissements, mais tous sont à l'arrêt.

Exemple dans le 13ème arrondissement de Paris, dans un quartier pittoresque, la Butte-aux-cailles. Les collèges Moulin-des-Prés et George-Sand sont distants de quelques centaines de mètres : le premier est plutôt favorisé, le second en difficulté. Entre les deux, un établissement privé, Saint-Vincent-de-Paul, joue les arbitres. Les familles aisées qui sont normalement rattachées à George Sand préfèrent y envoyer leurs enfants, lorsqu'elles n'obtiennent pas de dérogation pour Moulin-des-Prés.

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Beaucoup d'atermoiements

Pour éviter cette fuite vers le privé et une trop grande ségrégation entre les deux collèges publics, une fusion des secteurs était prévue pour la rentrée prochaine. Tous les élèves de 6ème et de 4ème devaient aller dans un collège, les 5ème et 3ème dans l'autre...

"Sur le papier, c'est intéressant mais quand on y regarde de plus près, ça peut être compliqué à mettre en œuvre", explique Vincent Berville, représentant FCPE au collège Moulins-des-Prés. "On nous proposait de fusionner avec le collège George Sand, qui a connu des difficultés importantes ces dernières années. Les familles de Moulin-des-Prés se disaient que si on ne réglait pas ces problèmes et qu'on nous demandait juste de déplacer nos enfants dans le collège (qui pour l'instant n'a pas la bonne réputation), ça ne réglerait pas leurs problèmes. Par contre, nos enfants qui sont dans un collège qui se porte plutôt bien ne voyaient pas pourquoi on allait les mettre dans un collège en difficulté."

Le projet prévoyait la fusion de deux collèges, l'un favorisé, l'autre moins
Le projet prévoyait la fusion de deux collèges, l'un favorisé, l'autre moins
© Radio France - Sonia Princet

Devant la fronde des parents, le projet est abandonné, ou plutôt "mis de côté" officiellement, comme le dit le maire du 13e arrondissement Jérôme Coumet, pour des questions de calendrier : "On avait un mois et demi pour faire passer cette idée, parce qu'il y a eu beaucoup d'atermoiements du côté du ministère de l'Éducation nationale, donc évidemment on l'a remis après les municipales et après on verra. Légalement, on n'a pas le droit dans les six mois avant une élection municipale de communiquer sur un projet nouveau ou de mettre en place un projet nouveau, sachant que sur un projet comme celui-là, c'est d'abord la conviction des parents qu'il faut emporter. L'idée, c'est de faire revenir dans le public les parents, et notamment parmi les classes sociales les plus favorisées qui mettent systématiquement leur enfant dans le privé."

"Il faut de la volonté politique et du courage"

Cette marche arrière est incompréhensible pour certains parents d'élèves, fervents défenseurs de la mixité sociale à l'école. Parmi eux, Luc Leclerc du Sablon est le père d'un élève de 4ème au collège Berlioz dans le 18e arrondissement de Paris, là où les premiers secteurs multi-collèges se sont mis en place. Selon lui, il est regrettable que "sous prétexte que les élections municipales se pointent à l'horizon, tout soit abandonné". Il ajoute : "ce n'est pas courageux, ce n'est pas bien. Le pré-requis pour que ça marche, c'est de la volonté politique et du courage. Le courage, ce n'est pas d'aller dans le sens du poil. Évidemment, les gens sont tous craintifs que quelque chose vienne bousculer leur petit confort."

La levée de bouclier des parents dans le 13e arrondissement de Paris rappelle à ce parent d'élève les débuts difficiles du projet dans le 18e. Il y a eu beaucoup de résistance au départ. Mais l'effet a été immédiat : "en septembre 2017, se souvient Luc Leclerc du Sablon_, au collège Berlioz, où auparavant il n'y avait que des Noirs, tout d'un coup il y avait des Noirs, des Maghrébins, des Chinois, des Pakistanais, des blancs, des roux, des blonds, des bruns... Tout ! Les premiers jours, tout le monde se regardait en chien de faïence mais cela n'a duré que quelques jours._"

Restriction des moyens

Aujourd'hui, plus personne ne conteste les effets bénéfiques sur le climat ou sur les résultats scolaires. Au brevet des collèges, le taux de réussite est passé de 48% en 2015 à 83 % l'an dernier... À la sortie des cours, Sakina, Maïssa, élèves de 6ème, avec leurs copines Lucia et Gabrielle, sont unanimes et expliquent qu'elles connaissent "plus de personnes", qu'elles rencontrent "d'autres gens". 

Lorsqu'ils sont entrés dans le dispositif des secteurs multi-collèges, les établissements ont bénéficié de moyens supplémentaires. C'était le cas des collèges Pailleron et Bergson dans le 19ème arrondissement qui faisaient partie des trois premiers projets. Mais une opération "collège mort" était organisée mardi 9 avril par les enseignants de Pailleron, qui dénoncent une restriction des moyens. Ils vont perdre des heures de demi-groupes en sciences, des heures pour des projets extra-scolaires.

Ces professeurs estiment que la promesse d'un maintien des moyens sur trois ans n'a pas été tenu. Guillaume, l'un d'eux, est convaincu que "la mixité, quand c'est bien fait, ça marche vraiment" mais il pense que la mixité n'a plus d'importance pour le gouvernement. "On n'en entend plus parler dans les médias ni par notre ministre", déplore-t-il.  

Et comme pour confirmer que la mixité sociale dans les établissements n'est plus une priorité, le rectorat de Paris n'a pas souhaité réagir sur toutes ces questions.