

Nous poursuivons notre série de reportages sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville, avec une escale ce matin à Saint-Etienne-du-Rouvray, en périphérie de Rouen, petite ville toujours traumatisée par l'attentat de juillet 2016 commis par un jeune habitant. Episode 4.
De nombreux rapports en attestent : le maillage associatif et humain a été profondément bouleversé en 40 ans dans les quartiers populaires. Regards croisés de trois générations de militants associatifs sur l'évolution du travail social réalisé avec les jeunes et leurs familles.
Changement de paradigme
"C'est un changement total de paradigme qui s'est opéré", explique Ghislaine Morrow, figure de la vie associative à Saint-Etienne-du-Rouvray. Cette jeune retraitée nous accueille dans l'auto-école solidaire où elle est bénévole. "Après le bouillonnement des années 1970 et 1980, le glissement a commencé" dit-elle.
Progressivement on nous a demandé d'aller chercher de l'argent ailleurs. Aujourd'hui je réponds sans rougir à des appels à projets auprès de banques ! C'est un travail qui nous prend beaucoup de temps. On nous demande de décrire nos résultats mais dans une petite case. Nous, on voudrait parler des véritables problèmes : de ces familles que l'on a vu plonger dans la détresse sociale, avec de grands enfants que les parents ne pouvaient plus gérer.
Des familles que Néné Camara, aujourd'hui 65 ans, a longtemps accompagnées : "L'année où je suis partie à la retraite, la moitié des financements de l'association qui m'employait ont été coupés. À l'époque, on avait les moyens d'emmener les enfants en camps de vacances. Essentiel pour construire le lien social, pour faire comprendre aux jeunes que leurs actes ont des conséquences sur la société !"

Aucun travailleur social ne se risquera pour autant à faire le moindre lien entre la baisse des moyens et les tragiques événements de juillet 2016.
Saupoudrage et manque de vision à long terme

Depuis le drame, les actions de lutte contre l'endoctrinement djihadiste sont encouragées, mais sous forme de saupoudrage, regrette Nathalie Rault, la quarantaine, directrice de l' ASPIC, association de prévention spécialisée implantée dans le quartier du Château blanc.
Financer la question éminemment importante de la prévention de la radicalisation à coup d'actions de trois mois maximum me pose problème. C'est aussi une question d'identité. Il faut pouvoir travailler sur le long terme, et collectivement avec les jeunes. Autour de nous, certaines structures ferment leurs portent. Vers qui les habitants pourront se tourner si les associations ne sont plus là ?
La jeune génération du quartier, dont fait partie Bintou, qui lance en ce moment son association, a renoncé à des financements pérennes. Elle sait que ses moyens d'actions seront limités. Mais elle veut agir. Il y a dix ans, Bintou était perdue lorsqu'elle a été prise en charge par les éducateurs du quartier : "J'aurais pu mal tourner, si je n'avais pas croisé ces adultes qui m'ont fait confiance. Grâce à eux, j'ai évolué, j'ai grandi. Aujourd'hui j'essaye de faire la même chose avec les autres. Mais ce n'est pas facile. En tout cas, si on attend quelque chose de l'Etat pour agir, on ne fera rien. Alors je me lance."

Un local a été mis à disposition de Bintou par le bailleur social. Le début d'une aventure qui risque, et Bintou en est consciente, de ne pas être un long fleuve tranquille.
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