Les Tunisiens doivent élire leur président dimanche. Deux candidats atypiques se disputent le fauteuil de président, après un premier tour et des élections législatives dans la foulée, dominés par l’abstention. Kaïs Saïed, "présumé islamiste" contre Nabil Karoui, "présumé voleur".
La Tunisie a mal à sa démocratie. Ce dimanche, les Tunisiens retournent aux urnes pour le second tour de l’élection présidentielle, une semaine après des législatives marquées par un fort taux d’abstention. Deux candidats s’affrontent pour devenir président, deux candidats au profil particulier.
Le premier, Kaïs Saïed est enseignant de droit constitutionnel, novice en politique, sans parti, austère et très conservateur. "Un modèle d’intégrité" selon ses partisans, un "islamiste ou même un salafiste" pour ses détracteurs.
Le second, Nabil Karoui est un magnat des médias en prison, soupçonné de blanchiment d’argent et de fraude fiscal. Sa chaîne télé, qui n’a pas l’autorisation de diffuser, continue pourtant de faire campagne pour le candidat. Le surnom que lui ont donné ses adversaires : le "Berlusconi tunisien".
"Guerre civile"
Même s’ils les ont portés au deuxième tour, les Tunisiens ne se reconnaissent pas dans ces deux profils. À la Marsa, dans la banlieue chic de Tunis, la capitale, c’est le choc. Convaincus ni par Nabil Karoui, ni par Kais Saied, "les deux vont nous emmener vers l’inconnu", dit un homme autour d’un café. "Il y a un vrai dilemme", reprend son ami, "vous avez quelqu’un qui est en taule parce que c’est un mafieux. Et vous avez quelqu’un qui se dit droit dans les bottes mais qui verra se rallier à lui des gens comme Ennahda, et tous les autres partis fascistes. Il ne pourra pas ignorer. Il sera obligé d’en tenir compte. Je suis quelqu’un de pragmatique, de réaliste. À mon avis, s’il passe, ça finira en guerre civile, ça finira très mal".
Les femmes aussi sont inquiètes. Depuis la victoire des islamistes d’Ennahda aux élections législatives, cette femme, lunette teintées, yeux très maquillés et le visage grave, confie qu'elle votera pour Nabil Karoui : "Je me réveille tous les matins avec la peur au ventre. En tant que femmes, on pourrait perdre notre liberté".
"Démocratie ? Zéro"
De l’autre côté de la capitale, dans la cité Etthadamen. Là où les chauffeurs de taxi préfèrent vous laisser à l’entrée du quartier. Trop de braquages, de délinquance. Beaucoup de jeunes d'ici quittent la Tunisie pour l’Europe à la recherche d’un avenir, par la mer, clandestinement. Pour ceux qui restent, l’élection n’est même pas un sujet. "Démocratie ? Zéro", dit l’un d’entre eux, "je n’attends plus rien de ce pays. On n’aura pas de démocratie tant qu’on aura des présidents qui n’aiment pas leur pays. Aujourd’hui les politiciens ne sont là que pour voler".
Les classes populaires ont des fins de mois de plus en plus difficiles. Les très rares qui iront voter choisiront Kaïs Saïed, comme ce quincaillier. Depuis la révolution, il a dû licencier 14 de ses 17 employés et il n’a presque plus de clients.
"Il n’y a plus d’argent, ils n’arrivent pas à manger. Aujourd’hui, celui qui arrive à fournir le minimum pour sa vie familiale, c’est un champion. C’est un champion!"
"Nabil Karoui volerait encore plus que Ben Ali"
Voter utile dans ces quartiers très populaires, c’est voter pour Kaïs Saïed. Parce ils l’affirment "Nabil Karoui volerait encore plus que Ben Ali". Nabil Karoui "est un agent mafieux avec mes respects, avec tous mes respects". Dimanche, la Tunisie qu’on surnomme "la seule réussite du printemps arabe" votera donc contre un présumé islamiste ou contre un présumé voleur. Pour écarter une personnalité, et non pour la plébisciter.
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