

Le sujet crispe parfois, inquiète en tout cas certain managers. Le gouvernement publie donc cette semaine un guide pratique à destination des salariés et des employeurs
Nadia a été directrice des ressources humaines dans plusieurs grandes entreprises notamment de consulting. Elle a vu, dit-elle, monter l'expression du religieux au travail au fil des 10 dernières années, et c'est une formation qui l'a énormément aidée. Une formation au cadre légal mais aussi et surtout à sa propre subjectivité.
Nadia : "Ce sont des sujets sur lesquels nous ne sommes pas ‘naturellement outillés’. Alors la première réaction c’est d’avoir des biais : ‘je n’ai pas d’éducation religieuse, je n’ai pas été baptisé’ par exemple. Le biais que je vais avoir sera peut-être de dire : ‘la religion n’a pas sa place en entreprise’ alors que c’est faux, on prend les gens comme ils sont. Beaucoup de managers ont été surpris qu’un salarié demande un jour pour Kippour ou pour l’Aïd et qui ont dû réfléchir qui ont du réfléchir à leur planning de vacances. Recevoir une femme voilée en entretien de recrutement ramène à son vécu et son histoire et ses opinions, et il ne faut pas. Quand on est DRH on doit évaluer la personne telle qu’elle est."
Direction justement une session de formation au fait religieux et au vivre-ensemble, sur un lieu de travail. En ce moment le secteur est assez florissant. Intervention de l'association Convivencia devant des salariés et des responsables. On est en plein cas pratique : "Est-ce que le Jilbab est un vêtement autorisé en France ? Oui tant que le visage est apparent, en revanche on reprend le tableau et on fixe les limites : une limite de savoir être : qu’il n’y ait pas de prosélytisme ?et de renvoyer au droit et aux six critères qui peuvent justifier une interdiction du vêtement." Prosélytisme ou atteinte à la sécurité sur un poste de travail très précis, peuvent effectivement justifier l'interdiction d'un vêtement.
Deuxième objectif pour Victor Grezes qui dirige ces formations, aider les entreprises à se positionner à l'intérieur d'un cadre légal finalement assez large.
Victor Grezes : "Je prends l’exemple des salles de prière à disposition des salariés. La loi ne dit pas vous n’avez pas le droit de le faire ou devez le faire. Typiquement c’est à l’entreprise de prendre position. Nous notre mission c’est d’accompagner les entreprises vers une prise de position sur la laïcité, plus ou moins ouverte ou accueillante qui rentre dans le cadre de la loi."
C'est le port du voile qui suscite de loin le plus de crispations aujourd'hui de la part des employeurs
Liesel par exemple est assistante juridique dans un cabinet d'avocats. Elle a demandé un jour à son ancien employeur si elle pouvait travailler avec son voile. Réponse : "Lui m’a dit que ça ne le dérangeait pas vraiment, néanmoins aux yeux de certains clients cela pourrait poser des problèmes. Du coup il ne voudrait pas avoir une assistante ou une juriste qui porterait le voile. Ça fait mal, je suis là pour travailler mais je suis aussi une personne qui a fait des choix dans sa vie et ce choix c’est aussi de porter un voile. Normalement j’ai le droit de porter mon voile au travail, je ne suis pas dans le service public."

Liesel n'a pas voulu aller au conflit, elle retire donc son voile chaque jour avant de prendre son poste, mais son employeur avocat, pourrait être poursuivi pour cette interdiction. Et ça ce n'est pas normal pour Me Eric Manca, qui représente plusieurs sociétés. Selon lui, une partie du patronat est aujourd'hui en demande d'un cadre légal plus protecteur pour les DRH : "Lorsque vous avez un client qui vous dit ‘moi j’ai des réserve et je ne souhaite pas’ vous être bien obligé de prendre en compte parce que vous avez quelque chose qui est supérieur à la liberté religieuse, c’est le projet commercial, donc il faut une loi qui dise ‘obligation de neutralité dans les relations avec la clientèle’."
Sauf que cet argument brandi par certains patrons, qui semble, à première vue un argument de bon sens, est en fait un piège, explique la juriste et professeur de droit public Stéphanie Hennette-Vauchez : "Cette idée que les préférences de la clientèle pourraient justifier des pratiques discriminatoires, c’est un peu le retour à la préhistoire du droit de la lutte contre les discriminations : la préférence de la clientèle peut d’abord être manipulée et puis il n’y a pas de limites à ce genre de raisonnement."
Le ministère du travail, en éditant ce guide du fait religieux en entreprise, a en tout cas tranché, en faveur de la pédagogie plutôt que pour une nouvelle loi. La justice elle se prononcera en décembre sur une affaire emblématique justement de port du voile en relation clients, devant la Cour de justice européenne.
L'équipe
- Journaliste