Alors que l'Union Européenne a autorisé le glyphosate jusqu'en 2022, certains pays dont la France assurent vouloir se passer de la molécule avant cette date. Comment ? Les chercheurs de l'INRAE travaillent à des solutions, par exemple sur des vergers et de grandes cultures.
Dans la Drôme, à quelques kilomètres au nord de Valence, un verger détonne. Cinq cents arbres ont été plantés sur 1.6 ha en 2018. Des arbres disposés en cercles concentriques. "Pour se passer de pesticides, on est partis d'une page blanche" explique la responsable de cette expérimentation Sylvaine Simon, agronome au domaine INRAE de Gotheron.
Ce verger circulaire ressemble à un village gaulois. En guise de palissade extérieure, une haie végétale, première ligne de défense contre les insectes ravageurs. Ensuite, les chercheurs en alternant abricotiers, pêchers, pommiers, framboisiers veillent à créer la zizanie chez l'ennemi. "Dans ce verger, on alterne les fruits à noyaux et à pépins, des pommes, en l'occurrence, pour ne pas avoir de continuité. L'idée c'est de compliquer la dispersion du ravageur" ajoute Sylvaine Simon.
Favoriser la biodiversité par la diversification d'espèces et de variété permet aussi de créer un environnement propice aux insectes ou d'animaux amis des arboriculteurs, comme par exemple les araignées. Solène Borne est agronome sur le domaine : "Les araignées vont prédater les pucerons. Ils arrivent au printemps et les araignées sont des auxiliaires présents tout l'hiver, donc prêtes à attaquer les pucerons au printemps". Pour lutter contre les campagnols, qui s'attaquent aux racines et au collet des arbres, les chercheurs misent sur les belettes et les serpents, à qui ils offrent des refuges de pierres ou de branches. Quant aux rapaces, on leur réserve des poteaux perchoirs, et pour leur faciliter la capture des campagnols, l'herbe entre rangs d'arbres est coupée rase.
Biodiversité et stratégie contre les bioagresseurs
Aidée de naturalistes ou d'ornithologues, l'équipe scientifique a veillé à ne pas faire un verger utopique insiste Solène Borne : "Ici, on a réfléchi à comment le tracteur pouvait circuler, de façon à passer dans la parcelle pour éviter les tassements de sol et comment on circule pour que le travail soit efficace" .
C'est avec ce même souci de proposer des idées "à la carte" (que les agriculteurs pourront s'approprier) que travaille l'équipe d'Époisses près de Dijon. Autre domaine expérimental de l'INRAE. Ici, on cultive 125 hectares en agroécologie exclusivement. La plateforme CA-SYS a été imaginée en 2013, en partenariat avec les techniciens agricoles, les coopératives, et des agriculteurs. Les parcelles, plantées en 2018, sont d'une grande diversité, de pratiques comme de rotations de cultures.
Revoir les systèmes en profondeur
Se passer de la chimie, cela suppose de revoir complètement les pratiques selon Stéphane Cordeau, agronome sur la plateforme : "On ne cherche pas de méthode de substitution à ces produits phytosanitaires. On cherche à re-concevoir complètement les systèmes, à revoir la rotation des cultures, le mélange des variétés ou le recours au désherbage mécanique par exemple" détaille t-il. Le travail du sol, une technique utilisée en agriculture biologique, a l'inconvénient de nécessiter plus de temps pour les agriculteurs et d'utiliser du gasoil. L'autre technique pratiquée consiste à ne pas travailler le sol afin de le préserver. Mais pour ne pas avoir à désherber entre deux récoltes, il faut concurrencer les mauvaises herbes avec des plantes choisies. Sarrasin, moutarde, pois chiche ou féveroles ... on teste beaucoup de chose à Époisses. "On tire partie de la capacité des légumineuses à fixer l'azote de l'air pour le restituer ensuite au sol" explique Stéphane Cordeau. Les chercheurs mesurent ensuite dans quelle mesure la quantité d'azote fixée sera suffisante au colza qui sera ensuite planté.
Aux cultures variées, s'ajoutent des bordures de champs enherbées ou plantées de fleurs pour attirer les pollinisateurs et autres insectes bénéfiques pour la lutte contre les bio agresseurs.
Impliqués dès le départ, les agriculteurs voient dans ce dispositif la possibilité de tester des systèmes agricoles trop risqués pour pouvoir les assumer sur leurs exploitations. C'est ainsi qu'ils ont été à l'origine d'idées de rupture. Il est logique qu'un organisme public endosse cette responsabilité, selon les chercheurs.
Revenir à la polyvalence des exploitations?
Pour autant, certains exploitants ont commencé leur mutation. Ainsi Gilles Daurelle qui cultive 160 ha de céréales à Clenay près de Dijon. Il a déjà banni les pesticides et commencé une diversification de son activité. Des poules pour un complément de revenu, des arbres en plein champs pour faire revenir les auxiliaires qui tueront les ravageurs et bientôt 200 moutons. "Ce sera un substitut au glyphosate si l'on peut dire" sourit-il. Ils ne vont pas désherber mais tondre les couverts végétaux entre deux récoltes. Leurs excréments serviront de fertilisants, et les agneaux seront enfin un complément de revenu. "Mais devenir éleveur c'est un autre métier. Il faut investir, se former, cela demande des moyens et du temps" souligne celui qui accepte de tenter l'adaptation et de se transformer en agriculteur-éleveur. Le temps, ce précieux allié qui manque à tous les acteurs, agriculteurs comme chercheurs.
Face aux injonctions de la société, se passer de pesticides n'est pas chose aisée. Si l'INRAE propose deux expériences grandeur nature aussi riches que complexes, l'institut ne peut garantir des résultats solides avant plusieurs années. Au mieux, pour le verger de Gotheron, dans dix ans, et pour la plateforme CA-SYS dans six ans .
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