Remontées, enquêtes, sanctions : quelles méthodes pour lutter contre le harcèlement sexuel en entreprise ?

Le harcèlement sexuel est heureusement un phénomène de moins en moins ignoré ou toléré au travail
Le harcèlement sexuel est heureusement un phénomène de moins en moins ignoré ou toléré au travail ©Maxppp - KEYSTONE/Gaetan Bally
Le harcèlement sexuel est heureusement un phénomène de moins en moins ignoré ou toléré au travail ©Maxppp - KEYSTONE/Gaetan Bally
Le harcèlement sexuel est heureusement un phénomène de moins en moins ignoré ou toléré au travail ©Maxppp - KEYSTONE/Gaetan Bally
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#MeToo au boulot. Face à des situations toujours sensibles, parfois complexes, certains employeurs n'hésitent plus à faire appel à des enquêteurs ou enquêtrices extérieures à l'entreprise : des consultants juristes ou psychologues de formation, au sein de cabinets spécialisés. Est-ce la solution ? 

À mesure que la parole se libère, les alertes émises par des salariés victimes d'agissements sexistes ou de faits de harcèlement sexuel se multiplient dans de nombreuses entreprises. Mais comment y répondre ? Les réactions sont très inégales d'une société à l'autre, même si les choses bougent. Depuis quelques années, certains employeurs sollicitent des intervenants extérieurs pour traiter ces signalements. 

Climat tendu, révélations très douloureuses 

Dans les locaux du cabinet spécialisé AW Conseil, on se prépare aujourd'hui à répondre à la demande d'une nouvelle entreprise dont nous ne saurons rien, confidentialité oblige. Une cinquantaine d'entretiens au total à répartir entre différents enquêteurs pour une mission de quelques semaines tout au plus. "En général, en deux mois maximum, nos diagnostics sont bouclés", explique Gwenaëlle Hamelin psychologue et DRH de formation. "On touche à l'intime. Ce sont des témoignages extrêmement douloureux à livrer et à entendre. C'est pour cela qu'il est parfois nécessaire de passer ces dossiers en externe. Et puis il y a des enjeux d'image particulièrement fort."

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Chez AW Conseil, préparation d'une enquête contractoire, qui donnera lieu à un rapport.
Chez AW Conseil, préparation d'une enquête contractoire, qui donnera lieu à un rapport.
© Radio France - Claire Chaudière

Pour cette enquêtrice, nul doute : la demande augmente car la parole se libère et l'attitude des entreprises change  : "Avant, on nous appelait surtout dans les entreprises avec des capitaux américains car chez eux chaque affaire de harcèlement sexuel déclenche quelque chose, mais aujourd'hui de plus en plus d'entreprises avec des capitaux français nous appellent aussi.

Une centaine de textos envoyés à une stagiaire, gestes déplacés, agression, dévalorisation, ou sexisme plus insidieux... : les alertes sont variées, et le climat parfois tendu : 

J'ai le souvenir d'un directeur d'une très grosse entreprise ciblé par une lettre anonyme de 20 pages, avec menace d'envoi au journal local. On arrive parfois dans une atmosphère électrique. Il y a beaucoup d'attente, ce qui n'est pas toujours évident.

L'enquête, contradictoire, donne lieu à un rapport, avec un objectif double : caractériser ou non les faits et préparer l'après-crise. "Il faut éviter que la personne qui a fait tomber une tête ne soit perçue ensuite uniquement comme une victime ou un porte-drapeau. Il faut travailler pour que ceux qui ne sont pas intervenus par exemple lors de blagues sexistes se posent des questions. Travailler et donner des clés pour que ce qui s'est passé ne puisse plus se reproduire. Derrière chaque crise, il y a du positif. Nous conseillons aussi sur la manière de communiquer en interne sur d'éventuelles sanctions. Mais ce n'est pas du tout à nous de décider la sanction adaptée !

Quand les dispositifs internes dysfonctionnent 

Ces cabinets spécialisés sont aussi appelés lorsque les cellules d'alerte internes aux entreprises dysfonctionnent. Comme chez Ubisoft, secoué par une série de révélations sur des faits de sexisme et de harcèlement sexuel, l'été dernier. Pierre-Etienne Marx, du syndicat des travailleuses et travailleurs du jeu vidéo, représentant des salariés de l'entreprise, se souvient : "En quelques jours, on s'est rendu compte qu'il ne s'agissait pas de cas isolés, et qu'il y avait un point commun. Les personnes avaient alerté la DRH. En fait, des agissements graves avaient été couverts. Des personnes à un niveau important ont sauté assez rapidement", dit-il. 

Depuis ces affaires médiatisées, des consultants extérieurs interviennent pour faire remonter la parole des victimes. "Il y a clairement un avant et un après", estime Pierre-Etienne Marx. "Même si tout n'est pas réglé, ces remontées désormais anonymisées permettent de dépersonnaliser les dossiers, éviter le jeu de pouvoir souvent en défaveur des victimes, c'est important." Sollicitée, la direction d'Ubisoft, qui n'a répondu favorablement à notre demande d'interview, tient à ajouter que des formations ont été prescrites à l'ensemble des 20 000 collaborateurs de l'entreprise, et qu'une refonte de la politique RH de la société est également amorcée. 

Audrey Richard préside l'ANDRH, l'association nationale des directeurs de ressources humaines.
Audrey Richard préside l'ANDRH, l'association nationale des directeurs de ressources humaines.
© Radio France - Claire Chaudière

Coachings, enquêtes bâclées ou instrumentalisées

Du côté des DRH, on observe ces nouvelles pratiques avec intérêt, mais ce qui va réellement compter c'est la capacité des entreprises à dissocier l'enquête de la décision de sanction, estime Audrey Richard la présidente de l'association nationale des directeurs de ressources humaines. "Si un DRH mène l'enquête, il va vraiment être en difficulté pour décider d'une sanction, car il risque d'être juge et partie. Par ailleurs cette sanction - si les faits sont avérés - doit impérativement être significative." Elle explique :

Dans un arrêt récent, la Cour de Cassation précise que donner un avertissement à un harceleur et proposer à la victime de changer de service ne suffit pas. Il faut aller plus loin. 

Des sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement. "Cela arrive, mais c'est encore trop rare", regrette Me Elodie Tuaillon Hibon, avocate au barreau de Paris, qui mène elle aussi ce type d'enquêtes à la demande d'employeurs et qui met en garde face au risque d'enquêtes bâclées, voire instrumentalisées : "Accepter des enquêtes bidons, ou qui se terminent par des pseudo-coachings, c'est la porte ouverte à ce qu'il peut y avoir de pire ! Malheureusement, cela existe. Ce n'est pas possible de voir ce genre de chose. Il faut savoir déplaire à l'employeur dans son intérêt."

Me Elodie Tuaillon Hibon, avocate au barreau de Paris, réalise des enquêtes harcèlement sexuel à la demande d'employeurs. "Mon indépendance n'est pas négociable" dit-elle.
Me Elodie Tuaillon Hibon, avocate au barreau de Paris, réalise des enquêtes harcèlement sexuel à la demande d'employeurs. "Mon indépendance n'est pas négociable" dit-elle.
© Radio France - Claire Chaudière

Et même si des progrès sont notables, la plupart des entreprises ont encore beaucoup de chemin à faire, lâche cette avocate, dans l'élaboration de véritables politique de traitement de ces signalements

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