The Pink House, la dernière clinique pratiquant l'avortement au Mississippi au cœur du débat

Militante anti-avortement devant la Pink House
Militante anti-avortement devant la Pink House ©Radio France - Benjamin  Illy
Militante anti-avortement devant la Pink House ©Radio France - Benjamin Illy
Militante anti-avortement devant la Pink House ©Radio France - Benjamin Illy
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Aux États-Unis, la nomination d'une nouvelle juge conservatrice à la Cour Suprême peut fragiliser l'arrêt Roe contre Wade. En 1973, celui-ci a fait de l'accès à l'avortement un droit constitutionnel pour les Américaines. Reportage devant la dernière clinique du Mississippi pratiquant l'avortement, la "Maison Rose".

C'est un quartier un peu mort, proche du centre-ville de Jackson, capitale du Mississippi. Mais il est impossible de la rater, on ne voit qu’elle en bord de route : "The Pink House", la maison rose, un rose vif, le dernier bastion dans un état qui lui est hostile, où le protestantisme évangélique est très puissant et où la législation sur l’avortement est l’une des plus restrictives du pays. C'est la dernière clinique du Mississippi, gérée par la Jackson Women’s Health Organization, où les femmes peuvent mettre un terme à une grossesse non désirée.

"Franchement, c'est assez immoral"

Un homme vient de se garer à deux pas, il s’appelle Joshua, 40 ans. Il travaille dans le restaurant juste en face, il est pro-Trump mais demande au président de prendre un peu de temps avant d’attaquer de front l’avortement : "Je ne suis pas d’accord avec ce qu’ils font dans ce centre et franchement c’est assez immoral, il faut interdire l’avortement mais je ne sais pas si c’est le bon moment, les gens sont tellement à cran, les tensions sont fortes dans le pays. C’est une période assez effrayante, il faudrait attendre un an ou deux et après interdire l’avortement". 

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Un femme tourne autour de la clinique en récitant des prières, dans les mains elle tient un pancarte "Prier pour la fin de l’avortement ". Elle s’appelle Barbara, 71 ans : « Des enfants innocents meurent ici et le changement ne viendra pas avec le remplacement d’un juge mais quand les gens tourneront leur cœur vers leurs enfants. Mais un nouveau juge ça pourrait peut-être nous aider. C’est une urgence depuis si longtemps!". Elle marque une pause, se plonge dans ses prières, et puis se met à pleurer : "On n’aide pas les mères en les aidant à tuer leurs enfants ! Elle devront vivre avec cette peine toute leur vie, nous devons arrêter de tuer nos enfants innocents !".

La direction de la clinique n’a pas souhaité s’exprimer, concentrée sur sa mission et sur les batailles en cours. En 2019, le gouverneur républicain du Mississippi a fait adopter une loi interdisant l’avortement dès la détection d’un rythme cardiaque chez l’embryon, ce qui est possible après six semaines de grossesse. Un juge fédéral a bloqué cette décision, pour l’instant, mais le mouvement auto-proclamé "pro-life", "pro-vie", anti-avortement, a les yeux braqués sur la cour suprême.

"La décision Roe contre Wade est un désastre"

Laura Duran présidente de "Pro-life Mississippi"
Laura Duran présidente de "Pro-life Mississippi"
© Radio France - Benjamin Illy

Laura Duran est la présidente "Pro-life Mississippi" : "On espère que les juges vont respecter la constitution et réaliser que la vie est précieuse et que la vie dans l’utérus est précieuse ! La décision Roe contre Wade est un désastre ! Et nous prions pour que cette décision soit renversée dès que nous aurons le nombre suffisant de juges. Ce serait une bonne chose pour la vie". À la Cour Suprême des États-Unis, Donald Trump a nommé la très conservatrice Amy Coney Barrett, pour remplacer la progressiste et emblématique Ruth Bader Ginsburg, décédée le 18 septembre à l'âge de 87 ans. 

Le vif de l'Histoire
3 min

A ses côtés, une autre militante "pro-life", sourire triomphant et enthousiaste. C'est Janice, 72 ans, avec une broche "God bless America", Dieu bénisse l'Amérique.  Selon elle, "c_haque jour est un pas de plus"_ vers l’interdiction de l’avortement : 

"Je crois que le président aide sans aucun doute notre mouvement, c’est un président pro-vie. Il fait tout ce qu’il peut pour mettre fin à l’avortement"

Elle se tourne vers la Maison Rose, pleine de colère : "Vous savez, une clinique, c’est fait pour soigner, et celle-ci est faite pour tuer ! C’est comme Dachau ou Auschwitz, c’est un lieu de massacre ! Tout ce qu’ils font, c’est tuer des enfants". 

"Je ne suis pas inquiète je suis terrifiée"

Derenda Hancock membre des "Pink House defenders"
Derenda Hancock membre des "Pink House defenders"
© Radio France - Benjamin Illy

Et puis une femme s'approche, l'allure décontractée, elle porte un t-shirt sur lequel il est écrit "Proudly pro-choice", fièrement pro-choix. C'est son combat, laisser aux femmes le choix d'avorter ou non. Elle s'appelle Derenda Hancock, 61 ans, co-fondatrice d’une association qui se fait appeler  "Pink House Defenders", une poignée de militantes qui chaque semaine escortent les patientes du parking jusqu’à la clinique, pour leur éviter tout contact avec les manifestants anti-avortement. La semaine dernière la Maison Rose a réalisé 67 interruptions volontaires de grossesses. 

Derenda nous fait entrer dans les locaux de son association, et nous montre la page Facebook de son groupe. Des vidéos sont publiées régulièrement pour montrer ce que font les anti-avortement devant la clinique, presque chaque jour. Sur les images qu'elle nous demande de regarder, on voit une femme qui prend une voix d'enfant et dit à sa mère "sauve-moi, s'il te plait Maman, ne me tue pas". Derenda est consternée : "C’est du harcèlement !  Cette clinique est un refuge. Cela fait 25 ans cette année, joyeux anniversaire la Maison Rose !". Elle rit mais semble atteinte : "Je ne suis pas inquiète, je suis terrifiée, tout ce qu’il nous reste c’est l’espoir, mais avec l’arrivée d’un nouveau juge conservateur, vous ne reviendrez sans doute pas faire un autre reportage à la Maison Rose". 

"S’ils arrivent à renverser la décision Roe contre Wade, dans les 24 heures, cette clinique sera fermée. L’avortement sera illégal dans l’État du Mississippi !"

Des larmes coulent : "Oui, je suis émue, désolée, mais c’est parce qu'il s'agit de toute la lutte des femmes pour garantir ce droit depuis 47 ans. Et on peut le perdre comme ça", (elle claque des doigts) "en un clin d’œil". Elle se reprend : "Je suis surtout en colère, maintenant nous devons nous battre avec encore plus de force, je dois être une combattante ! Est-ce qu’il y a un autre choix ? ". 

En 2017, selon l’institut Guttmacher qui fait référence aux États-Unis en matière de statistiques sur l'avortement, 89% des comtés dans le pays étaient privés de centres proposant l’IVG. Toute seule au Mississippi , "The Pink House" reste debout, jusqu’à présent, guettant une éventuelle décision de la Cour suprême, sous la pression quotidienne de ses opposants, galvanisés par le président.