

Tout l'été dans Les choses de la ville, on décortique les "objets" qui composent nos villes. Ce dimanche, zoom sur le patrimoine du quotidien, à travers la découverte d'une discothèque du bassin d'Arcachon, en compagnie du photographe Eric Tabuchi.
- Eric Tabuchi plasticien, photographe
À Gujan-Mestras, dans le Bassins d’Arcachon, la discothèque "Le Select" prend place entre un bowling très banal et un centre aquatique aux toboggans géants. Pour le photographe Eric Tabuchi, il y a un air de ressemblance entre ce paysage et le « strip » de Las Vegas, cette grande rue aux multiples enseignes :
« C’est le « strip », version landaise… Il y a une route, qui n’est pas non plus considérable, il y a du soleil, du sable... Et une boite de nuit qui arbore une enseigne assez visible depuis la route. [Ce bâtiment], c’est juste un gros cube gris dont toutes les arêtes ont été surlignées en rouge, et sur lequel il y a une grosse enseigne « Le Select », avec un serpent, bizarrement... »
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Nous sommes bien loin du Macumba de Saint-Julien-en-Genevois, à la frontière suisse, avec sa Tour Eiffel en toiture, ou encore de la Tanière Express de Coulonges, près de Niort, qui arbore une vieille caravelle…
Le Select de Gujan-Mestras, c’est un grand pavé gris, à l’image des magasins que l’on trouve souvent dans les zones commerciales des entrées de ville, d’où l’importance de son enseigne !
« Il y a écrit « Night club », en dessous, au cas où on pourrait avoir un doute… Parce que ça pourrait être une PME, ou une boulangerie, ou quelque chose comme ça… Les très grosses boites de nuit, avec des espèces d’architecture de type « Las Vegas », avec beaucoup de symboles - avion, voiture, Statue de la Liberté - toutes ces choses là ça n’existe plus !»
Éric Tabuchi aime photographier l’architecture du quotidien. Avec l’artiste Nelly Monnier, il est à l’origine de l’Atlas des Régions Naturelles, au sein duquel ils documentent l’ensemble du territoire français, en classant les bâtiments par type.
Ils ont notamment réalisé toute une série sur les discothèques, qui leur a permis de voir l’évolution de leur architecture, mais aussi de mesurer que les boites de nuit sont en crise déjà depuis plusieurs années.
« La plupart de celles qu’on voit sont fermées, c’est un constat qui est incontestable. Nous, on aimerait bien qu’elles soient encore actives toutes ces boîtes de nuit que l’on photographie, or elles le sont pas, ça ne fait aucun doute. Si on en croit ce que l’on voit, le monde de la nuit est en crise, en tout cas sous sa forme de boîtes de nuit. Ce que l’on constate c’est que les boîtes de nuit sont fermées et que Tinder est bien ouvert. »
Les applications de rencontre, mais auparavant déjà les interdictions de fumer en intérieur, les campagnes de prévention contre l’alcool au volant et la multiplication des contrôles routiers, pouvaient expliquer déjà le déclin des boîtes de nuit, bien en amont de la fermeture récente imposée dans le contexte de la crise sanitaire.
Le nombre de boîtes de nuit a été divisé par quatre durant les quarante dernières années, on en décomptait 1200 avant la crise sanitaire.
Et pour celle qui prennent place en dehors des centres-villes, même si leur architecture y est moins extravagante que la vague des « dance club » des années 1970, il reste bien sûr quelques invariants, parmi lesquels le grand parking en bitume, en pelouse ou en stabilisé, qui jouxte la discothèque.
« Sur ces parkings, il se joue beaucoup de choses... Le parking de boîte de nuit, c’est un peu comme la cuisine dans une fête, c’est là où finalement tout se joue ! Dans l’après ou dans l’avant : l’avant, on boit dans les voitures parce que les boissons sont trop chères, et puis, à la fin, on se bat parce que Machin est sorti avec Machine. »
Et entre les deux… On danse, on drague, on boit... Si on arrive à passer l’entrée !
Il suffit de ne pas se laisser impressionner, ni par le videur, ni par la mise en scène des lieux. Ici en l’occurrence, une porte massive, creusée d’un judas, abritée par une toile tendu qui constitue un sas.
« À l’entrée du Select, on tient à signifier que l’on est dans un moment, et dans un lieu spécifique, où le conditionnement psychologique est tellement important. On s’apprête à rentrer dans un lieu où le mystère, le danger, l’aventure, tout ça se mélange... On va vivre cette expérience ! Je me souviens que quand on allait en boîte de nuit, des heures avant nous étions déjà dans une sorte de mécanisme qui fait que quand on arrivait à la porte, devant le videur, on était dans un état d’excitation, on pouvait subir n’importe quoi ! Des heures d’attente, être refoulés, rentrer en force, enfin, tout était possible ! Évidemment ça créait des soirées assez pimentées... »
Le travail d’Éric Tabuchi et de Nelly Monnier est à découvrir sur internet. Leur Atlas des Régions Naturelles, qui dresse un inventaire de l’architecture du quotidien à travers la France, est visible par là, et pour découvrir leur série sur les discothèques, il faut sélectionner la catégorie "Discothèques", dans la section "Loisirs".
"Les choses de la ville" en partenariat avec l'Ordre des architectes.
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