Bechir Ben Yahmed, le fondateur de Jeune Afrique s'est éteint Dimanche. Avec lui disparait un "monument" du panafricanisme et du Journalisme sur le continent.
Jusqu'au bout, Béchir Ben Yahmed aura été fidèle à sa réputation de tête de mule. Touché par la Covid-19, a 93 ans, il n'en continuait pas moins à refuser le port du masque , à serrer la main à tout le monde et refusait mordicus toute vaccination. Le virus l'a emporté dimanche et avec lui disparait l'un des derniers témoins des indépendances africaines et nord-africaines et des années post-coloniales sur le continent...
Le fondateur de Jeune Afrique a toujours flirté avec la politique sans jamais y succomber
Tout jeune diplômé d'HEC est ministre de l'information du premier gouvernement d'Habib Bourguiba en 1956 en Tunisie et il vient de lancer son premier newsmagazine : l'Action centré sur la nouvelle Tunisie, avant de passer à Afrique Action - couvrant le Maghreb - puis à Jeune Afrique s'élargissant à tout le continent, mais essentiellement les pays francophones. Il ne restera qu'un an dans le cabinet Bourguiba et dès 1957 c'est le journalisme qui demeurera sa seule occupation, un journalisme qui surveillera de très près les processus d'indépendance en train de se mettre en place, pacifiquement pour certains... beaucoup moins pour d'autres à commencer par l'Algérie. Jeune Afrique est d'ailleurs interdit, en Algérie française comme en France durant ces années là.
Béchir Ben Yahmed à cette époque rencontre et interviewe tous ceux qui comptent : de Franz Fanon (dont l'épouse travaille à Jeune Afrique) à Che Guevara en passant par Léopold Sédar Senghor, Sékou Touré ou Patrice Lumumba. Autant de révolutionnaires, champions des indépendances ou au contraire chantres du néocolonialisme à la française comme Jacques Foccart. Béchir se liera, parfois d'amitié sincère et profonde dit-il avec la plupart de ces personnages.
Mais la ligne éditoriale de Jeune Afrique n'a pas pour autant épousé leur lignes politiques
Dès le début Jeune Afrique s'est positionné assez systématiquement en défense de la démocratie, du multipartisme à l'heure où les premiers régimes émergeant des colonies françaises ne juraient, eux, que par le parti unique et la "révolution".
Jeune Afrique, emmenée par Béchir défend aussi thèses et principes qui n'étaient pas nécessairement dans la "ligne" révolutionnaire anti-coloniale : sur Israël, le magazine ne s'est pas montré aussi systématiquement pro Palestinien qu'il aurait pu l'être. Sur la question du Sahara occidental, il prend plutôt le parti marocain qui annexe la zone en 1974, s'attirant les foudres durables de l'Algérie, soutient des Sahraoui. Jeune Afrique se fait d'ailleurs assez rapidement interdire : en Algérie, pendant plus de 20 ans, au Maroc, au Sénégal, en Mauritanie, encore récemment au Congo...
Mais le magazine n'est pas toujours resté le parangon de vertu et d'indépendance qu'il entendait être
Béchir ben Yahmed a aussi accepté assez vite quelques accords douteux du point de vue de l'éthique... contre espèces sonnantes et trébuchantes lourdes ! Il est par exemple devenu l'éditeur en Français des œuvres de Kim Il Sung, le premier de la dynastie des dictateurs nord-Coréen dans les années 60.
Lorsque la crise a frappé le magazine en 1994 avec la dévaluation du franc CFA, la maison d'édition a accepté une sorte de renflouement discrètement opéré par le régime tunisien de Ben Ali, que Béchir Ben Yahmed a plutôt épargné dans les colonnes de son journal.
En fait pendant des années Jeune Afrique et Béchir Ben Yahmed se sont essayé à un exercice de corde raide, ménageant la chèvre souvent autoritaire des régimes en place et le chou des indispensables rentrées pécuniaires que représentaient la publicité locale et ventes du magazine, pourvu que celui-ci ne soit pas interdit dans tel ou tel pays.
Mais l'un dans l'autre , le titre a tout de même réussi à maintenir une indéniable crédibilité, au Maghreb comme en Afrique sub-saharienne francophones. Reste à savoir si elle survivra au départ définitif de son fondateur..