Depuis quelques mois émerge la préoccupation de lutter, dans le cadre éducatif, contre la propagation des théories complotistes et plus généralement contre la diffusion tous azimuts d'informations erronées ou malveillantes.Des initiatives en établissements secondaires et même primaires sont valorisées par le ministère de l'éducation nationale et proposées en modèle.
L'objectif est d'enseigner le discernement pour savoir identifier les rumeurs, mais aussi les fausses nouvelles, les images truquées ou faussement légendées, et les vidéos malveillantes, bref tout ce qui peut contribuer à fausser le jugement de jeunes esprits en construction.
Internet, applis, réseaux sociaux : première source d'info des plus jeunes
Objectif louable car Internet pour les jeunes générations est devenu la première source d'information, mais aussi de divertissement, de relations sociales : tout ou presque passe désormais par les écrans chez les plus jeunes. Une étude toute récente sur les usages adolescents révèle que plus d’1/3 des 11 - 18 ans sont connectés à Internet entre 4 et 6 heures par jour!Ils naviguent à toute heure, en priorité sur les réseaux sociaux, via sur leur smartphone, et le soir, sur Internet via l’ordinateur.
Combien d'appareils connectés à Internet chez toi ?
Pas difficile pour ces tout jeunes de surfer à toute heure : 50% de ces jeunes ont à leur disposition entre 7 et 10 terminaux à la maison. [Etude complète de l'association Génération numérique à télécharger ICI en .pdf ]
Il n'est donc pas étonnant que dans ces conditions des enfants de plus en plus jeunes soient donc confrontés aux rumeurs…
C'est la raison pour laquelle le gouvernement a mis en ligne, en début d'année, un petit "kit" pédagogique intitulé "On te manipule" sur son site officiel, tandis que l'institution scolaire commence - enfin - à s'en préoccuper.
Le ministère de l'éducation a tout récemment organisé une journée d'étude sur le thème « Réagir face aux théories du complot » où étaient conviés les enseignants qui, de leur propre initiative le plus souvent, ont déjà mis en place des ateliers, des cours ou des méthodes pédagogiques qui fournissent aux élèves les outils intellectuels et pratiques pour analyser les informations sur Internet.
C'est le plus souvent dans le cadre des recommandations concernant l'enseignement interdisciplinaire de l' E.M.I. (Education aux médias) que sont mis en place ces dispositifs.
Des cours d'autodéfense intellectuelle
Concrètement, cette démarche adopte des formes diverses. Certains enseignants, disciples de Noam Chomsky et lecteurs de Normand Baillargeon ouvrent par exemple des ateliers d' autodéfense intellectuelle, comme cette prof d'anglais dans un collège de Seine Saint Denis, Sophie Mazet .
Et puis d'autres privilégient l'analyse de vidéos comme s'il s'agissait de textes littéraires, pour les démonter, les décortiquer, et en comprendre les ressorts. , prof de lettres en collège dans les Yvelines, a mis enplace une 3ème "médias", où il fait réaliser aux élèves des parodies de théories complotistes et met ainsi en évidence la limite parfois très floue entre fiction et réalité.
Ces dispositifs s'adressent à des collégiens de 14 ou 15 ans et c'est déjà bien tard au fond parce que dans les faits c'est dès l'âge de 9 ou 10 ans, dès l'école primaire donc que les enfants sont les proies des mauvais usages du web, qu'ils soient consommateurs passifs, ou eux-mêmes auteurs de contenus : posts Facebook, photos Instagram ou vidéos Snapshat.
Hoaxbuster en CM2 : débusquer les ogres et les sorcières du web
Rose-Marie Farinella , elle, est institutrice. Elle intervient dans les classes de primaire, en réponse à une demande véritablement pressante.
Les parents et les enseignants s'étaient plaints des agressions par Internet qui se développait entre les enfants. Donc la cible du projet pédagogique que j'ai mis en place était constituée de ces jeunes enfants qui utilisent les réseaux sociaux mais qui n'ont pour cela ni règles ni repères. L'objectif est de leur apprendre les valeurs de la République et de leur en montrer l'application sur les territoires numériques.
Cette formation à l'usage des réseaux sociaux participe d'une forme d'éducation à la cyber-citoyenneté dont l'effet est double : en fournissant des règles de comportement sur le Web, on aiguise du même coup le regard critique des enfants sur toutes sortes d'autres contenus. L'absence de rigueur ou d'honnêté les impressionne fortement, et ce d'autant plus t que l'information proposée vise à faire vibrer leur capacité d'émotion.
C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les images. Voyez cet exemple qui fonctionne spécialement bien dans les classes primaires :
On voit sur une photo une petite fille recouverte de boue qui tient un petit chien tout serré contre son soeur, elle fait vraiment pitié, et la légende explique que la scène se passe en Ukraine en 2014, alros qu'en réalité, cette photo a été prise en Australie quatre aupravant dans le cadre d'un tournage de fiction !
Je montre donc aux enfants que des genspeuvent mentir sur la date et sur le lieu et que, par conséquent, une photo tirée de son son contexte ne veut plus rien dire.
Autre exemple de la démarche de "désintox" cultivée par Rose-Marie Farinella, débusquer les messages racistes, eux-aussi souvent véhiculés par les images, tout simplement assorties de légendes mensongères :
Une dimension particulièrement importante de ce genre d'enseignement est la maîtrise des outils. Ce sont en effet les enfants eux-mêmes qui procèdent aux vérifications et recoupements de l'information. Cette enseignante met l'accent sur les aspects pratiques de la vérification de l'information. Or on sait bien que sur les réseaux sociaux ce sont les posts assortis de photos ou de vidéos qui sont les plus vus/lus/partagés. Raison pour laquelle il faut dès le plus jeune âge savoir comment vérifier l'authenticité d'une image.
Je leur montre Google-image et TinEye, deux outils hyper simples qui permettent de retracer l'origine et le parcours d'une photo sur Internet
De la sorte, petit à petit, les enfants de primaire acquièrent tout à la fois discernement et savoir-faire, de sorte qu'ils peuvent assez vite en remontrer à leurs parents, souvent tout à fait ignorants de ces outils...
Dans les classes supérieures, au collège notamment puis au lycée, dans le cadre des travaux personnels de recherche documentaires qui leur seront demandés pour réparer des exposés, ou des "T.P.E." (Travaux Personnels encadrés) les élèves apprendront à identifier les sources d'informations, distinguer les sites ressources des sites plus fantaisistes.
Mais d'ores et déjà, en primaire, Rose-Marie Farinella leur présente des sites parodiques tels legorafi.fr. Ils en saisissent très rapidement l'humour et apprennent la notion de distance :
Signalons que grâce à ce projet pédagogique intitulé "Info ou Intox sur le web, comment faire la différence, dès l'école primaire ?" , Rose-Marie Farinella vient tout juste de recevoir le Prix de l'éducation aux médias des Assises internationales du journalisme et de l'Information.Et dans la catégorie « Médias » c’est France Inter qui a été récompensé, pour le projet Interclass ’ qui associe des journalistes de France Inter et des enseignants de plusieurs établissements.
© Anne Brunel, Les Légendes du Web , in Secrets d'Info du vendredi 11 mars 2016
Les liens
Info ou Intox sur le web, comment faire la différence, dès l'école primaire
Le projet pédagogique de Rose-Marie Farinella : modèle de progression, documents pour exercice, bilan, traces. Documentation pour les enseignants, recommandations pour les parents
MEDIAPARKS, revue scolaire
Avec leur professeur d'histoire-géographie Ronan Chérel, des lycéens de Rennes réalisent cet intelligent magazine. Ce numéro comprend un riche dossier sur le complot et la vérité.
On te manipule, site du gouvernement
Les recommandations pédagogiques du gouvernement français à l'usage des jeunes, face aux théories conspirationnistes
Centre de Liaison de l'Enseignement et des Medias d'Information (CLEMI)
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