

Regarder notre histoire avec plusieurs milliers d’années de recul nous invite à observer les migrations et le destin de l’humanité d’un œil nouveau. C'est-ce que propose Evelyne Heyer, professeur en anthropologie, spécialiste des gènes.
Toute l’histoire des hommes, sur 7 millions d’années peut être lue dans nos gènes. Cette façon d’explorer le passé est très récente. Nous avons en France une grande spécialiste du sujet : Evelyne Heyer, professeure en anthropologie génétique au Muséum National d’Histoire Naturelle. Elle raconte que l’on peut dater précisément, grâce à la génétique, la période à laquelle homo sapiens est sorti d’Afrique, combien de rencontres charnelles entre Néandertal et Sapiens ont donné lieu à des naissances... ou encore identifier les pays d’où sont issus les descendants d’esclaves. Le “séquençage” des gènes tel qu’on le connait aujourd’hui était impossible il y a 20 ans. Il a fallu inventer des formules mathématiques et les coupler à la puissance de calcul des ordinateurs, mais aussi collecter de l’ADN sur le terrain, dans des lieux souvent improbables... Les gènes sont une archive de l’histoire des peuples, une histoire que personne, mieux qu’Evelyne Heyer, ne peut raconter.
Extraits de l’entretien :
Fabienne Chauvière : Les gènes sont donc une machine à remonter le temps, que peuvent-ils raconter ?
Evelyne Heyer : "On est une espèce qui a beaucoup bougé depuis 70 000 ans en rayonnant partout sur la planète. L'ADN permet de retracer ces grands voyages de nos ancêtres et de montrer au niveau de chaque individu ce que l’on a en commun...
On a tous des ancêtres migrants dans notre généalogie !
C’est assez récent ce niveau de connaissance ?
E. Heyer : “Oui tout à fait la découverte de l’ADN date de 1962 et le niveau de précision que l'on a maintenant est encore plus récent, nous avons réussi à séquencer notre Adn, c’est à dire lire tous les lettres d’un individu (un ADN est fait de trois milliards des lettres) il y a 18 ans. En moyenne deux humains sont identiques à 99,9 %, c’est-à-dire qu’il y a une différence toutes les 1000 lettres entre deux individus.
Il y a deux ADN, le moderne que l’on prélève sur des individus et l’ancien, de quoi s’agit-il ?
"Il y a une dizaine d’années des scientifiques ont extrait l’ADN ancien de fossiles (restes humains : dents et os) et ont réussi, en partie, à le séquencer. C’est assez fascinant car on retrace des populations totalement disparues. Le résultat le plus magique c’est d’avoir permis de démontrer le croisement entre nos ancêtres sapiens et Néandertal ! "
Que peut-on dire de Néandertal ?
"On a longtemps pensé que c’était une brute dépourvue de culture, depuis, grâce aux paléontologues, on a démontré qu’il avait une culture, des objets symboliques et qu’il enterrait ses morts. La population de Néandertal a commencé à décroitre il y a 50 000 ans, avant de rencontrer Sapiens. L’arrivée de Sapiens a surement accéléré sa disparition. "
Grace aux gènes, peut-on décrire physiquement Néandertal ?
"Oui et non. En le comparant avec les informations que l’on a chez Sapiens, on arrive à dresser un portrait-robot de Néandertal, il était de couleur marron intermédiaire et il avait plutôt les yeux marrons, certains étaient roux. "

La génétique permet aussi d’évaluer le nombre de relations charnelles qui ont donné lieu à des naissances ?
“Oui un collègue suisse a construit un modèle démographique pour arriver à ces deux 2 % de Néandertal en nous, on arrive à 150 rencontres charnelles ayant abouties à des bébés."
Vous êtes anthropologue et vous avez la passion du terrain...
“Le plus souvent en Asie centrale et en Sibérie et quelques fois en Afrique. C'est fascinant, on constate que partout la question des origines interpelle les humains. "Un des grands moteurs de mes recherches c'est de montrer que la culture joue sur la diversité génétique. Sur le terrain je mélange donc l’ethnologie et la biologie, je fais des prélèvements, bien sûr mais je m’attache aussi aux cultures locales. Le plus bel exemple d’adaptation d’un individu à son environnement c’est celui des populations tibétaines en capacité de résister à une altitude extrême avec peu d’oxygène.”
L'ADN a-t-il révélé tous ses secrets ?
"On ne sait pas encore bien prédire les risques de maladies qu’encourt un individu à partir de son ADN...mais je pense que cela arrivera un jour. "
Vous vous intéressez plus particulièrement aux flux des migrations, les hommes ont-ils toujours migrés ?
"Oui les hommes ont toujours migré, mais il faut voir que ce sont des échelles de temps très différentes d’aujourd’hui. On a pu reconstituer la sortie d’Afrique d’un groupe humain il y a 70 000 ans, arrivés en Australie il y a 50 000 ans... soit 20 000 ans pour parcourir ces milliers de km, entre 3 et 10 km par génération. C'est un déplacement très lent. Il y a chez l'homme ce souhait d'aller voir ce qu’il y a derrière la colline. A chaque fois que deux groupes humains se sont rencontrés, ils se sont mélangés. Comment se sont fait ces mélanges c'est une question qui m'intéresse... Je pense que nous aurons des éléments de réponse dans les années à venir."
Que savons-nous des premiers Européens ?
_"_L'étude de l'Adn nous indique que les premiers Européens étaient noirs avec les yeux bleus. Leur peau ne s'est pas éclaircie rapidement, ils sont restés noirs de peau jusqu'à il y a environ 10 000 ans. "
La suite à écouter...
La musique :
- Nicolas GIRAUD & Djeuhdjoah : La vie est belle
- Marinero : Through the fog
- Georges Moustaki : Le métèque
Archives et illustrations sonores :
- Remise du prix Nobel à Stockholm pour la découverte de la structure de l’ADN (1962 )
- Annonce du premier séquençage du génome humain à 99,9%
- Jean Rostand, parle de l’ADN, Emission “Visa pour l’avenir”, (INA) 1962
- Yves Coppens, 2000
- Otzi, l'homme des glaces découvert en 1991 (Archive Ina)
- Les prévisions démographiques du professeur Hartweg pour l’an 2000 et 3000 (Ina 1968)
Références bibliographiques :
📖 LIRE : L'odyssée des gènes, E. Heyer, Flammarion, (2020)
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