Quand la station fait un looping de 540°

Inspection du tapis roulant avec l'aide de la réalité virtuelle
Inspection du tapis roulant avec l'aide de la réalité virtuelle - NASA/ESA
Inspection du tapis roulant avec l'aide de la réalité virtuelle - NASA/ESA
Inspection du tapis roulant avec l'aide de la réalité virtuelle - NASA/ESA
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Cette semaine, Thomas Pesquet revient sur la rotation hors normes que l'ISS a réalisé suite à l'arrivée du nouveau module russe Nauka. Ses moteurs se sont rallumés de façon inattendue. La station a basculé sur son axe. Les astronautes ont gardé leur self-control et tout est rentré dans l'ordre.

Plus de peur que de mal pour les 7 astronautes de l’ISS ! Ils viennent de vivre un incident inédit, un retournement spectaculaire du complexe orbital que la NASA avait d’abord qualifié de rotation de 45° avant de reconnaitre que le looping était de 540°. L’ISS, poussée par les moteurs du nouveau module russe Nauka, fraichement arrimé, a pivoté sur son axe. Les gyroscopes, situés dans le segment américain ont prévenu le centre de contrôle de cette orientation anormale. Pour rétablir la bonne attitude, il a fallu "pousser" dans l’autre sens. Rôle dévolu au vaisseau Progress, arrimé en permanence à la station. Occupé à suivre les procédures, l’équipage n’a pas forcément eu conscience de ce tour de manège à 400 km d’altitude. Aucun des astronautes ne s’est appesanti sur ce fabuleux looping même si, comme le reconnait Thomas Pesquet, le pedigree de Nauka leur laissait supposer une journée peu ordinaire. 

Oleg Novistky, l'un des deux cosmonautes à bord actuellement de l'ISS
Oleg Novistky, l'un des deux cosmonautes à bord actuellement de l'ISS
- NASA/ESA

"On savait que ce ne serait pas une journée de routine ce jour où on rajoute un module à la station. Sans compter qu’il a une histoire quand même assez mouvementée. Il a eu des soucis. Il est parti beaucoup plus tard que ce qui était prévu parce qu'il a fallu le réparer quasiment entièrement, il y avait eu des problèmes sur la propulsion. Au moment du départ, sa conception était déjà un  peu ancienne et sur une durée de 10, 12, 15 ans, les équipes se succèdent. En clair, on s'attendait un petit peu à tout et on avait anticipé. On s'était préparé à pas mal d’éventualités. Le Dragon était prêt à nous accueillir en cas d’évacuation d'urgence. Mais finalement, tout s'est extrêmement bien passé. Et puis au moment où on commençait à relâcher la garde, une heure ou deux après le docking, on a eu un appel du centre de contrôle. On ne s'est pas rendu compte que la station avait basculé. Ce qui s'est passé, c’est qu’une fois intégré à l’ISS,  l’ordinateur de bord du module MLM s’est réveillé. Il s’est cru en mode vol autonome. Et dans ce mode là, il essaie de rétablir son orientation dans l’espace et comme tout module spatial qui se respecte cette orientation c’est à peu près à plat vers la Terre. Mais une fois arrimé à la station, il n’est pas à plat ! Au contraire, il a la tête en bas, donc il a cherché à rétablir son orientation et a donc allumé ses moteurs et commencé tranquillement sa manœuvre. Le petit souci, c'est qu'il a entraîné toute la station avec lui. Comme en mode nominal, les moteurs de l’ISS ne sont pas connectés (ce sont des gyroscopes qui maintiennent son orientation, des roues à inertie, plus exactement), ça ne permet pas de contrer la puissance des moteurs, qui plus est avec un couple. Donc, les roues à inertie ont tenté de résister mais au bout d'un moment, elles ont abandonné et se sont déconnectées. Le problème dans ce genre de situation , c’est qu’on peut perdre le pointage des antennes vers le sol. Mais là, comme la rotation était très douce, très contrôlée, les antennes ont continué d’assurer les communications et la liaison n’a pas été perdue avec le centre de contrôle. On s'est réparti les tâches, et au final pour récupérer le contrôle de l'orientation de la station, on a branché les moteurs situés du côté russe afin de contrer les ordres des moteurs de Nauka. Il y a un moment un peu tendu où les moteurs se battaient les uns contre les autres en gros. Puis finalement, MLM avait une sécurité et parce qu’il consommait trop de carburant, il s'est arrêté et on est revenu en position. Au final, tout s'est très bien passé. Mais on n'a pas encore l'explication exacte. Mais c'est normal, c'est le spatial. C'est technique, c'est hyper compliqué et en plus, là, on assemble des choses conçues indépendamment il y aune dizaine d’année (modules russes et américains). Maintenant, le MLM est intégré et le docking a été parfait. La réponse du centre de contrôle était adéquate. En somme on a juste fait un petit demi looping en station spatiale. Il y'a a pas beaucoup de monde qui l'a fait. Donc c'est plutôt sympa".  

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Le module est-il pleinement opérationnel  à présent ?

"Pas tout à fait C’est un module donc on pourra déambuler à l’intérieur mais en attendant, il est rempli de cargo. 20 tonnes au total, module compris. Pour le voyage dans l’espace, il a fallu protéger par des armatures le matériel. Donc, il a fallu démonter tout ça, répartir les équipements, notamment le bras robotique. C’est ce que sont en train de finir les collègues russes. Ensuite, il restera à déployer le bras robotique. On va s’y employer ces prochaines semaines. Je ne sais pas si on aura vraiment l'occasion de finir, mais on va le vérifier que tous les systèmes marchent bien, ça, c'est certain. Si nous ne l'utilisons pas pendant cette mission, ce sera la suivante. peut être mon collègue allemand Matthias qui va me suivre dans la station". 

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Sur les clichés, ce Nauka a vraiment un look des années 80. En vrai, comment est-il à l’intérieur ?

"Oui, un air eighties, c’est vrai. C’est la faute de Space X si on s’est habité à du design moderne, épuré, noir et blanc, à la Space X où tout est rond, sans rien qui dépasse, pas de velcro. Ce n’est pas fait pour que ce soit très utilisable et pour accéder aux différentes zones de rangements à l’intérieur du Dragon, ce n’est pas forcément simple mais c’est joli. Chez les Russes, c'est tout le contraire. Ce n’est pas du tout fait pour être joli, mais pratique. Donc effectivement, c'est très carré. Il y a des grandes armatures en métal, un peu de moquette au mur. C'est un peu les recettes des années 60, 70, 80 qui marchaient très bien pour les Russes. On reste dans le traditionnel car quand ça marche, on continue de faire pareil. C'est vrai que ça nous fait sourire avec les collègues russes. C'est quand même le dernier module arrivé sur la station mais on dirait que c’est le plus ancien. Mais c'est pas grave, du moment que ça marche bien. Ce n'est pas fait pour être joli. 

Vous avez inspecté le tapis roulant cette semaine et pour ça, vous avez utilisé un casque de réalité virtuelle. Mais pour quoi faire précisément ?

"C'est un exemple de ce que la NASA et les agences en général testent.  L’idée c’est d’utiliser  la réalité virtuelle pour aider les astronautes à bord à bord de la station. Nous ne sommes experts de rien tant il y a de choses spécifiques dans une mission. L’expertise se situe au centre de contrôle. Nous, ce que l’on connait, c’est comme un petit vernis. Même si on est capable de se débrouiller,  on travaille à base de procédures. On ne connait pas vraiment le détail des systèmes et les gens du centre de contrôle nous guident en cas de problème,  nous expliquent, etc. L'idée de ce casque de réalité virtuelle, c'est de s'affranchir de cette méthode qui est très lourde car elle allonge les interactions. Avec un casque de réalité virtuelle, on cherche à voir si les astronautes pourraient travaillent de manière un peu plus autonome. On teste les opérations, le tapis roulant et encore une fois, c'est un exemple assez générique d’une inspection maintenance. 

On fait ce que l'on voit dans le casque, c’est la superposition de la réalité et une image 3D du système qu’on inspecte.  C’est assez impressionnant, c'est un peu comme dans un film de science fiction. Si on regarde par exemple un ressort, on a le ressort qui se dessine. C'est vraiment tout à fait en 3D. On a des des mains qui surgissent et qui nous indiquent où donner un couple. Donc vraiment, ça montre tout. C'est hyper pratique. Après la question, c'est combien de travail pour mettre au point cette réalité virtuelle et est-ce que ça vaut le coup de la mettre au point pour toutes les opérations ? En tout cas, sur cette inspection, ça m’a vraiment simplifié la vie plutôt que lire des mots compliqués. Ce qu'il faut faire… La main m’a montré avec précision où il faut appuyer, ce qu'il faut tourner, dans quel sens la bobinette, la chenillette, etc. C'était précieux. "