Claire Touzard, "Sans alcool"

Portrait de la journaliste Claire Touzard auteure de "Sans alcool" (Flammarion), à Paris, le 11 janvier 2021.
Portrait de la journaliste Claire Touzard auteure de "Sans alcool" (Flammarion), à Paris, le 11 janvier 2021.  ©Maxppp - PHOTOPQR/OUEST FRANCE/Daniel FOURAY
Portrait de la journaliste Claire Touzard auteure de "Sans alcool" (Flammarion), à Paris, le 11 janvier 2021. ©Maxppp - PHOTOPQR/OUEST FRANCE/Daniel FOURAY
Portrait de la journaliste Claire Touzard auteure de "Sans alcool" (Flammarion), à Paris, le 11 janvier 2021. ©Maxppp - PHOTOPQR/OUEST FRANCE/Daniel FOURAY
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La pop culture fait trinquer les femmes, et elle n’est pas la seule, toutes nos représentations font de l’alcool un ciment social, ou un liant amoureux. Oubliant qu’il peut esseuler, intranquilliser et fausser les liens. On en parle avec Claire Touzard

C’est devenu un intangible des séries américaines: tous les personnages féminins ou presque se tartinent généreusement la gueule sans conséquence visible sur leur vie amoureuse, familiale ou amicale.

  • Dans la série The Good Wife , l’avocate Alicia Florrick s’envoie l’équivalent d’un cubi de rouge tout en élevant seule deux enfants, et sans jamais foirer ni brushing ni plaidoirie ni orgasme.
  • Dans Cougar Town, une bande de quadras se pochtronne dès 11h du mat’ et dans de telles quantités que les auteurs de la série eux même ont pensé à la rebaptiser : "Pinard Ville".
  • Quant à Sex and the city, si Carrie Bradshaw a démocratisé le vibro et le port du tutu en ville, elle a aussi popularisé les bitures monumentales entre copines. 

La pop culture fait trinquer les femmes, et elle n’est pas la seule, toutes nos représentations font de l’alcool un ciment social, ou un liant amoureux. Oubliant qu’il peut esseuler, intranquilliser et fausser les liens.

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Mon invitée ne craint pas de casser l’ambiance avec sa sobriété, elle ne prêche rien, elle ne juge personne, si ce n’est celle qu’elle a longtemps été. 

Ce que l’alcool peut altérer en amour, en famille, entre amis…on en parle jusqu’à plus soif, ou en tout cas jusqu’à 23h.

Claire Touzard

Claire Touzard, est auteure de Sans alcool (Flammarion). Un livre particulièrement d’actualité en ce dernier jour de Dry January, et qui a toute sa place dans une émission qui s’appelle Modern love, puisqu’elle y tire plusieurs fils, celui de sa rencontre avec la sobriété, celui de sa rencontre avec elle-même, celui, aussi, d’une rencontre amoureuse.

Extraits de l'entretien :

"Beaucoup de choses se créent autour de l'alcool, c'est une sorte de liant, amical ou familial. Et du coup, c'est vrai que briser ce lien, c'est parfois violent pour les gens, c'est comme si on refusait de trinquer avec eux. La symbolique est extrêmement forte" 

"L'alcool, c'est un exutoire qu'on utilise, un médicament, et on ne se rend pas compte parfois de la violence que ça fait envers nous-mêmes et envers les autres"

Claire Touzard explique avoir voulu témoigner dans son livre de "l'alcoolisme rampant", montrer que "l'alcoolisme n'est pas seulement l'alcoolisme extrême qu'on définit comme celui des gens qui sont dans les bars à 9 h du matin, l'alcoolisme peut être mondain, il peut être familial, il peut être un peu partout". 

"C'est vraiment un effet boule de neige, l'alcool : plus on boit et plus on a envie de boire pour effacer les souffrances que crée l'alcool. Et moi, c'était vraiment ça : à la base, j'avais pas mal de problèmes quand j'étais adolescente et j'ai commencé à boire en pensant que ça irait mieux. Et puis, je me suis construite comme ça, avec l'idée que l'alcool allait être mon pilier pour m'aider. Je ne me rendais pas compte que ça m'enfermait dans une sorte de cycle où plus je buvais, plus ça allait mal et c'était entre autres lié à l'alcool. C'était une sorte de procrastination du bien-être".

"Je pense qu'on ne peut pas évoquer l'alcool comme source de plaisir, c'est un leurre, ça crée tellement de violence. Le fait de n'en parler que sous le biais du côté bon vivant, ça continue à perpétuer la violence envers les femmes par les hommes, mais aussi envers les femmes contre elles-mêmes […] Je ne dis pas que tous ces hommes sont supers et que c'est parce qu'ils boivent qu'ils tapent, ça n'est pas du tout ce que je dis. Ce que je dis, c'est qu'en tout cas, ça accélère la violence et que si on réfléchissait un peu à cette consommation, je pense que ça ne pourrait pas la résoudre, mais en tout cas la diminuer". 

  • l'amitié avec ou sans alcool

"Il y a des amitiés qui ont su se reconstruire sans l'alcool et d'autres qui sont plus difficiles. Parce que l'apéro, c'est une sorte de rituel qu'on partage entre amis. C'est vrai que tout d'un coup, quand on arrête de boire, on regarde l'autre boire, ce n'est pas forcément très agréable. Et puis, on se rend compte que peut-être que notre amitié tenait sur ces moments où on aimait picoler."

Nous construisons très jeune notre relation à l'alcool, juge Claire Touzard : "quand on commence à sortir, on crée nos amitiés souvent sous le filtre de l'alcool, ça nous désinhibe. On a l'impression que ça fait partie du lien social. On grandit avec cette idée... et on ne change pas vraiment - c'est pour ça d'ailleurs que, même à 40 ans, dans une soirée, le naze c'est celui qui boit pas, et le cool c'est celui qui est par terre". 

A ce sujet, elle cite dans son livre l'exemple d'une amie qui, pendant très longtemps, faisait semblant de boire dans les soirées. On lui servait un verre et puis elle allait le vider discrètement dans l'évier. À 30 ans ou à 40 ans, personne ne fait semblant de fumer. Par contre, on va faire semblant de boire. 

  • l'amour avec ou sans alcool

"La vision de l'amour aussi est faussée sous alcool" souligne Claire Touzard. L'homme avec qui elle est aujourd'hui est d'ailleurs le premier qu'elle ait connu sobre. Toutes les précédentes, rencontres d'un soir ou histoires longues durées, se sont faites alcoolisées. "Est-ce que j'aurais aimé ces personnes sans alcool ?" interroge-t-elle. "On sort avec des personnes parce qu'on est désinhibé - mais est-ce qu'on sortirait avec elles si on ne l'était pas ?"

Nombreux sont ceux et celles qui prennent un peu d'alcool avant ou pendant une première rencontre amoureuse. Pour Claire Touzard, c'est une erreur : "C'est un peu la philosophie du pire. On se dit 'Bon bah, ça ne sera pas terrible, mais on va faire passer quoi' Alors que quand on est sobre, on se dit 'Bon il va falloir que soit bien parce que je n'arrivais pas à supporter si c'est pas bien'".

  • Le lien entre alcoolisme et anorexie

"C'est un lien fréquent, je l'ai découvert en parlant avec Fatma Bouvet, qui est psychiatre à Maison-Neuve et qui s'occupe d'alcoolisme féminin. En fait, c'est très fréquent qu'on soit anorexique et ensuite alcoolique. Déjà, c'est se faire du mal, c'est un rapport à l'estime de soi. C'est aussi un rapport à une sorte de maîtrise : on maîtrise beaucoup son corps quand on est anorexique, et quand on boit à l'extrême, c'est souvent pour enlever cette maîtrise-là - c'est le chemin inverse. L'alcoolisme a un peu été le chemin inverse de l'anorexie, tout en étant extrêmement lié. En tout cas, c'était de deux façons de se faire du mal". 

La note vocale

Ce soir, la note vocale est signée Juliette. Sa parade anti glauquerie dominicale : l’évidage encéphalique avec ce qu’on a inventé de mieux pour ça : la télé-réalité à haute dose.

L'amour de l'art

L’heure de décacheter la lettre d’amour d’une personnalité à une œuvre qui parle d’amour. 

Aujourd’hui, l’humoriste Tristan Lopin se confie à nous, et il en a déroulé du câble en amour, en témoigne son spectacle Dépendance affective qu’on ne désespère pas de revoir un jour sur scène. En attendant, je vous conseille ses vidéos Instagram et les mots qui vont suivre à propos de ce tube d’Elton John.

La chronique de Lorraine de Foucher

Lorraine de Foucher tient  la chronique "s'aimer comme on se quitte" dans le journal Le Monde, dans laquelle des anonymes lui racontent depuis trois ans les premiers et les derniers jours de leurs histoires d'amour. Ce travail de documentation lui a permis aussi de découvrir plein de livres et de concepts qu'elle partage avec nous.

Aujourd'hui, on va parler du rapport genré aux émotions et à l'attachement. L'amour, valeur intime par excellence, nous est propre bien sur, mais c'est aussi et surtout un acte social. On aime comme notre époque nous le permet, on aime comme notre genre nous le permet. On aime pas pareil en fonction de si on est un homme ou une femme. La formidable biographie de Simone de Beauvoir écrite par la chercheuse anglaise Kate Kirkpatrick, «Devenir Beauvoir, la force de la volonté.Il y a un passage dans cette biographie qui revient sur le Deuxième Sexe, l'ouvrage tutélaire de la philosophe. 

On y retrouve cette question du rapport genré à l'amour :

D'après Beauvoir, l'homme, même amoureux, reste toujours un sujet souverain: la femme aimée demeure pour lui une valeur parmi d'autres qui, bien que totalement intégrée à son existence, n'y prend pas toute la place. Pour la femme au contraire, l'amour se confond avec l'existence même, et les mythes de l'amour l'incitent à se dévouer entièrement à l'être aimé, voire à s'anéantir devant lui. 

Les hommes sont élevés dans la perspective d'être actifs dans le monde: non seulement d'aimer, mais aussi d'être ambitieux et d'agir dans d'autres domaines. Aux femmes l'on inculque qu'elles n'ont qu'une valeur conditionnelle - qu'il leur faut être aimée par un homme pour acquérir de la valeur" 

La programmation musicale

  • Cavale : Laura Cahen
  • Peng black girls : Enny et Mia Brave

L'équipe