

Génial, perfectionniste jusqu’à l’obsession, roi de l’épure, insaisissable, ambigu, provocateur, fier de ses ennemis comme de ses rares amis, aussi charismatique que discret, caché sous son Stetson et derrière ses Ray-Ban, Jean-Pierre Melville était un personnage de film.
Du polar, il fit un sacerdoce. Cet obsédé du cinéma américain, ce père de la Nouvelle Vague, qui, ensuite, devint la plus grande référence de cinéastes tels que Johnnie To, John Woo ou Quentin Tarantino, fut un combattant, dont les règles furent formées pendant la guerre, et qui s’était fabriqué un masque. Y compris dans la vie privée. De peur d’être trahi, de peur de se trahir… Comment tout cela a-t-il commencé ?
Dès l’enfance, alors qu’il reçoit en cadeau une caméra, il s’amuse à filmer des scènes de la vie courante dans la maison familiale. À l’adolescence, il ne songe pas sérieusement à travailler dans le milieu du cinéma jusqu’en 1932 où, alors âgé de 15 ans, il est subjugué par le film du réalisateur américain Franck Lloyd, Cavalcade. Cette fois, c’est certain, il veut se lancer dans l’aventure du cinéma et de la réalisation. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il part au service militaire puis rejoint Londres. Il change de nom et utilise celui de Melville, en l’honneur de l’écrivain de Moby Dick, œuvre qu’il appréciait particulièrement.
Ses débuts dans le cinéma ne sont pas simples. Il peine à se faire une place au sein des réalisateurs et ne parvient pas, après maintes demandes, à obtenir une carte d’assistant metteur en scène. Il décide donc de se débrouiller par lui-même après la bataille du Mont Cassin. Il entame son premier court métrage en 1946 avec Vingt-quatre heures de la Vie d’un Clown. Trois ans plus tard, il réalise le Silence de la Mer, aujourd’hui considéré comme l’un des trois chefs-d’œuvre de Melville, avec Léon Morin Prêtre et l’Armée des Ombres. Il utilise des méthodes nouvelles qui bouleversent le monde du tournage mais passe plus pour un auteur intellectuel qu’un artiste réalisateur.
Au début des années 1950, Melville est approché par Jean Cocteau pour réaliser Les Enfants Terribles. Quelques années plus tard, il signe avec Philippe Lemaire et Juliette Gréco pour Quand tu liras cette lettre et, en 1955, il réalise Bob le Flambeur qui vient innover le monde de la série noire et du polar français en lui offrant une touche très américaine. Le film est tourné avec très peu de moyens dans un Paris populaire et reflète parfaitement la fascination de Melville pour les techniques de tournage de réalisateurs américains. Cet intérêt pour les États-Unis est d’autant plus marquant dans son film suivant, Deux Hommes dans Manhattan réalisé en 1958, dans lequel Melville s’est attribué l’un des premiers rôles aux côtés de Pierre Grasset. Cependant, ce film ne remporte pas un franc succès, imposant à Melville d’adopter un nouveau mode de fonctionnement.
Entretemps, il rachète les studios Jenner à Paris, y place toutes ses économies et s’installe dans une salle juste au-dessus. Ces studios serviront pendant une quinzaine d’année à Melville qui réalisera six films dans années 1960. Dans Léon Morin, Prêtre, il met en scène un Belmondo charmant mais inaccessible. Ainsi l’année 1961 marque le début d’une longue collaboration entre l’acteur et le réalisateur. En effet, on retrouve Belmondo l’année suivante dans Le Doulos puis dans L’Aîné des Ferchaux. Dans Deuxième souffle, Melville opte cette fois pour Lino Ventura. Un an plus tard, alors qu’il est sur le tournage du film Le Samouraï en compagnie d’Alain Delon, voilà que ses studios prennent feu et toutes les économies et le travail de Melville partent cruellement en fumée. C’est un désastre pour Melville qui s’obstine à utiliser encore les studios pour son film suivant, L'Armée des Ombres. Le tournage est très compliqué en raison d’une communication quasi inexistante entre Melville et Ventura. Désormais, ils ont rompu tous lien amical suite au tournage de leur dernier film ensemble.
Au début des années 1970, Melville tourne l’un des films les plus appréciés par le public et la critique, Le Cercle Rouge. Le choix des acteurs est essentiel puisque l’on voit apparaître à l’écran à nouveau Alain Delon, cette fois accompagné de Bourvil, Gian Maria Volonté et Yves Montand, des acteurs iconiques à l’époque. Le long métrage est cinquième au box-office français cette année-là, et c’est également le dernier tournage de Bourvil qui meurt quelque temps après. À l’origine, la distribution était radicalement différente puisque Melville avait sélectionné Ventura, Meurisse et Belmondo. Deux ans plus tard, Alain Delon revient derrière la lente caméra de Melville pour le dernier film du réalisateur, Un Flic. Les rapports ne sont plus si idylliques entre les deux hommes : Melville est jaloux car Delon a déjà en tête son prochain film, Le Professeur de Valerio Zurlini…
La profession avait-elle envie de faire tomber le patron ? Un flic n’a pas été critiqué, il a été assassiné, buté. Melville est touché au cœur et dans la famille Grumbach, on a le cœur fragile, puisque les hommes de la famille, dont son père qu’il admirait tant, sont tous morts à cinquante-cinq ans d’une crise cardiaque. Melville avait 55 ans et cinq jours le jour de la sortie d’Un Flic, son terrible échec. Le cinéaste qui se définissait avec un mot inventé par ses soins « OPOCENTRIQUE » (centré sur son œuvre) se ronge les sangs et achève tant bien que mal le scénario de Contre-enquête qu’il veut tourner avec Yves Montand.
Le 2 août 1973, rupture d’anévrisme. Il mourra quelques heures plus tard, à 56 ans. Obéissant à la fatalité des hommes de la famille mais avec juste quelques mois de retard pour marquer son indépendance.
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