#Balancetonporc : Lettre à Twitter

La dénonciation sur Twitter ne doit pas se faire au détriment d'un combat global
La dénonciation sur Twitter ne doit pas se faire au détriment d'un combat global  ©Getty - Peter Willert / EyeEm
La dénonciation sur Twitter ne doit pas se faire au détriment d'un combat global ©Getty - Peter Willert / EyeEm
La dénonciation sur Twitter ne doit pas se faire au détriment d'un combat global ©Getty - Peter Willert / EyeEm
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Balancer un porc sur Twitter sans vouloir le nommer, c'est le choix de Giulia Fois, un choix pour ne pas individualiser le problème car le combat est global.

Cher Twitter, Je t’ai écrit, samedi soir. J’étais un peu énervée. Entre l’affaire Weinstein et Cantat en une des Inrocks, j’avais comme une légère nausée, tu vois. 

Alors j’ai écrit ça : 

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C’est tout bête, hein ? Moi, je vis avec depuis 20 ans. Mais toi, ça t’a fait tomber de chaise, dis donc. Tu as eu l’air très étonné. 

Au début, tu m’as trouvé courageuse. Tu m’as même dit que j’avais des burnes. J’ai eu envie de te répondre que techniquement, les burnes, c’était lui qui les avait, mais j’ai laissé tomber. J’ai pas envie de tout réexpliquer à chaque fois, je te jure, des fois, c’est fatigant. Surtout quand tu m’écris : « Hein, quoi, comment, ces choses là existent vraiment ? » 

Tu sais quoi, Twitter ? Je sais pas sur quelle planète tu vis, mais je veux bien l’adresse. Parce que chez toi, visiblement, ces choses là, ça n’arrive pas. Ni à tes sœurs, ni à tes copines, ni à tes voisines. Se faire coincer dans un couloir, ou contre un mur, ou sous un porche. Un bras autour du cou ou une main sur les fesses qu’importe, non, chez toi, visiblement, ça n’arrive pas. 

Alors t’étais horrifié. Pourtant tu sais, Twitter, je t’ai ménagé. Je t’ai raconté ce que j’ai vécu, ce que tes sœurs, tes voisines, tes copines ont vécu de plus soft. Plus, tu n’aurais pas supporté. Là, au moins, t’as pu trouver ça drôle. Si si, tu m’as écrit « LOL ». Tu lui as trouvé du caractère, à ce « petit cochon » de rédacteur en chef comme tu l’appelles. 

Par contre, moi, t’as trouvé que je manquais sérieusement d’humour. C’est vrai que t’es un rigolo, toi. T’aime bien les blagues, hein ? Puis t’es curieux. Ouh là, ce que t’es curieux… « Vous n’avez pas cédé, au moins ? », tu m’as demandé. Parce que les premières heures, tu me vouvoyais encore. 

Alors pardon, mais c’est vrai que j’ai eu un petit peu la flemme de t’expliquer la différence entre céder et consentir. Faut dire, tu m’as pas laissé le temps. Tu es très enthousiaste, tu veux tout savoir, hein ? 

Et par exemple : « il était musulman ? » Là, je t’avoue, j’ai pas compris la question. En même temps, tu t’en moques. Ce que tu veux, au fond, c’est un nom. Oui, très vite, tu me demandes un nom. Je te réponds que le nom, on s’en fout. Que ce qui compte, c’est les faits. L’ampleur massive des faits. Que le lynchage ad hominem, c’est pas mon truc. 

Je t’explique doucement qu’à l’époque, j’ai donné son nom. A ma direction. Mais qu’on ne m’a ni crue, ni entendue. 

Toi non plus, tu n’entends pas. Tu redemandes un nom. Non, tu réclames, tu exiges. Je ne réponds plus, mais mon silence t’énerve. Tu es gourmand, hein ? Moins je te donne à manger et plus tu as faim, on dirait… Tu m’as dit : « tu dois donner un nom, sinon ta démarche est ridicule » - entre temps, on est dimanche et tu t’es mis à me tutoyer. 

Je pense que tu penses qu’on est intimes, maintenant. Et que tu peux te permettre de me dire que je suis lâche et responsable de toutes celles qui sont tombées, après moi, dans les pattes de ce porc. Ah tiens ? C’est moi qui suis lâche et responsable ? C’est vrai que t’aimes bien les blagues, toi. 

J’ai failli te répondre que je ne te dois rien. Que les victimes ne te doivent rien. Qu’elles n’ont d’injonction à recevoir de personne. Qu’elles font comme elles veulent et surtout comme elles peuvent. Mais à ce stade là, tu entends encore moins. Tu bombes le torse, tu montres les crocs. 

Tu étais presque séduisant au début, tu es devenu humiliant. Tu t’es nourri tout seul, entre temps. De ce que ta machine à fantasmes a pu avaler. 

« Si tu ne dis rien, tu m’écris, c’est que tu veux protéger ton petit confort. Cette promotion que tu as obtenue en couchant avec ce red chef et maintenant tu dis que c’est un viol, c’est dégueulasse. Mais tu ne le nommes pas, pour garder ton poste » 

Tu es magique, parfois, Twitter, tu sais… 

Et c’est drôle, tu vois, parce que tu me fais vraiment penser à quelqu’un. Je parle, tu me dis que je mens. Et puis tu veux des preuves. Tu veux que je me justifie. Plus je résiste, plus tu insistes. Tu pousses, tu me contraints, tu m’insultes et puis tu frappes. 

Tu frappes fort, oui, mais tu sais, j’ai le cuir dur, à force. J’ai failli regretter mon tweet, tu as failli gagner, Twitter. T’as marqué des points, ça, c’est certain. A te lire, combien ont reculé ? Combien ont décidé, finalement, de ne pas twitter ? Tu les entends, toi aussi, dire partout que la parole se libère ? Et tu rigoles, hein? Moi non, moi j’ai un peu envie de pleurer. Parce que la parole, elle s’est souvent libérée. 

C’est juste qu’on ne l’a pas entendue. Alors dis moi, Twitter, que tu n’es pas si sourd que ça. Dis-moi que cette fois, tu as compris. Qu’à la prochaine blague salace, tu ne rigoleras pas. Et que quand ta collègue de bureau te parlera, dis-moi que tu la croiras. 

Promets-moi que ton fils, tu lui diras qu’il ne faut pas. Promets-moi que ta fille, tu lui diras qu’on n’a pas le droit. Fais le, cette fois, hein ? Allez, je t’embrasse, Twitter. Et sans rancune.