Cinéma et séries TV : qu'est-ce qui détermine le sexisme à l'écran ?

Comment définir le "male gaze" dans les films ou les séries ?
Comment définir le "male gaze" dans les films ou les séries ?  ©Getty - Caspar Benson
Comment définir le "male gaze" dans les films ou les séries ? ©Getty - Caspar Benson
Comment définir le "male gaze" dans les films ou les séries ? ©Getty - Caspar Benson
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Giulia Foïs vous propose de réviser vos classiques en matière de cinéma et revient sur les nombreux éléments cinématographiques qui font qu'un film ou une série est plus sexiste que d'autres. 20% seulement des films vus par les Français entre 2012 et 2016, étaient réalisés par des femmes (CNC).

Alors par exemple, vous pouvez vous faire "J’accuse", en VOD. Oui, oui, le film de Polanski. Déjà parce que la vérité, c’est que vous faites exactement ce que vous voulez. Je sais, ça avait son petit côté délirant, alléchant d’imaginer une horde de féministes déchaînées, folles, furieuses, et pourquoi pas à moitié nues, déboulant sur la planète culture, prêtes à en brûler toute production artistique masculine, émasculant ainsi tout un pan de notre imaginaire. Oui, mais non. N’en déplaise à nos fantasmes, il n’en a jamais été question. Comme il n’a jamais été question de remplacer une domination par une autre, de grand remplacement bis, ou de matriarcat. C’est beaucoup plus simple que ça, plus logique, et je dirai presque mathématique : on parle de mixité, on parle d’équité et on part du « male gaze ». 

Le "male gaze" pour les néophytes ?

Littéralement, c’est le regard masculin. Regard masculin porté sur le monde, une façon de le décrire, de le penser, de le filmer. Le concept même fait bondir les universalistes, les générations féministes qui nous ont précédées parce que, dans les années 70, quand on se battait pour les droits des femmes, on le faisait justement sur l’idée que nous nous valions tous, parce que nous étions tous pareils. Il ne pouvait y avoir un cinéma masculin et un cinéma féminin. L’artiste était donc une sorte de pur esprit, détaché de sa culture, de son vécu, de son éducation. 

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Et le masculin, lui, était, selon la formule d’Ivan Jablonca, à la fois le "neutre, le supérieur, et l’universel". Pourquoi ? Parce que, si on se réfère aux chiffres du CNC, 20% seulement des films vus par les Français entre 2012 et 2016, étaient réalisés par des femmes. Dans 80% des cas, nous allons voir des films d’hommes qui, aussi singuliers soient-ils, ont tout de même reçu des valeurs communes en héritage : une certaine idée de la virilité, à la fois blanche, cis-genre, et hétérosexuelle, et donc un certain rapport au monde. 

Car oui, comme tout le monde, les artistes ont des biais de pensée, même minimes, mêmes inconscients, même mélangés à d’autres biais – ils sont par exemple, issus aussi d’un certain milieu social, ils ont une certaine orientation sexuelle. C’est la somme ou le mélange de tous ces biais qui font leur singularité, mais le point de vue masculin, le « male gaze », lui, existe bien comme norme dominante. Attention, on parle ici de genre et non de sexe biologique. Autrement dit, de construction sociale et pas d’assignation à résidence, dès la naissance, ferme et définitive. 

Nous avons tous été nourris par ce « male gaze », donc spontanément, à notre tour, nous le reproduisons. Des femmes peuvent tout à fait l’avoir adopté et porter un regard sur le monde qui leur vient aussi, de là. Il faut, pour proposer autre chose, s’être émancipée de la norme. Il faut avoir pris conscience de son poids, s’en être libéré, et avoir tracé sa propre route. Il faut à un moment ou à un autre, pour une raison ou pour une autre, être sortie du système, soit parce qu’on est punk, soit parce qu’on est féministe, soit parce qu’on est lesbienne, soit, quand on s’appelle Virginie Despentes, parce que les trois à la fois. Elle, et quelques autres, proposent un « female gaze », qui bien évidemment, ne se substitue pas au « male gaze », mais qui, tout simplement, l’équilibre et le complète.

Qu'est-ce que ça change le "female gaze" ?

Eh bien pas mal de choses, en fait… Pour vous en rendre compte, vous pouvez vous amuser avec le test de Bechdel. C’est une illustratrice américaine, Alison Bechdel, qui l’a élaboré au milieu des années 80. Vous prenez un film, n’importe lequel, au hasard. Vous regardez si : 

  • Il y a au moins deux personnages féminins dotés d’un nom et d’un prénom
  • Si ces deux femmes parlent entre elles, sans avoir besoin d’un homme avec elle
  • Si elles parlent d’autres choses que des hommes. 

Si vous cochez oui à ces trois cases, alors oui, le film, le cinéaste, le scénario ont fait l’effort de s’intéresser réellement à l’autre moitié de l’humanité – qui, du coup, s’y trouvera mieux représentée et aura un tout petit peu plus l’impression qu’on s’adresse à elle. Alors évidemment, c’est un critère nécessaire mais non suffisant. On peut tout à fait réussir ce test et avoir fait un film parfaitement sexiste. Mais disons que c’est une base de départ intéressante. Intéressante et un peu déprimante si on examine les choses à grande échelle. 

En 2016, le média américain Polygraph passait ainsi 4000 films au crible de Bechdel : 40% d’entre eux ne passaient pas la barre. Vous imaginez, 1600 films ont été infoutus de créer deux personnages féminins qui auraient un nom et un prénom et qui seraient capables de parler entre elles d’autres choses que des hommes ? Ouaip y a du boulot. Mais c’est pour ça qu’on est là !

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