

Tous les jeudi, on plonge dans une ère Post MeToo dans laquelle on pourrait réinventer le masculin, redessiner le féminin, rééquilibrer les rapports entre les sexes, s’émanciper des injonctions genrées… Savez-vous que depuis le confinement, il y a trois fois plus de femmes qui se libèrent de leur soutien gorge ?
Vous avez vu ce qui s’est passé aux Saintes-Maries le week-end dernier ? Trois jeunes femmes qui bronzent seins nus sur la plage, une mère de famille offusquée, des gendarmes qui leur demandent de se rhabiller, des réseaux sociaux enflammés.…
Et moi, ces filles-là, je les ai enviées. J’ai envié leur insouciance, au moins autant que leur inconscience. Ado des années 90, je suis de cette génération qui a reçu 5/5 les messages sanitaires sur les dangers du bronzage : j’ai donc toujours mis le bas ET le haut, bien gentiment, bien sagement, et peut-être un peu bêtement. Oui, aujourd’hui, j’ai quand même l’impression de m’être fait avoir. Surtout le soir. Vous savez, le soir, quand vous dégrafez votre soutien gorge – pardon, vous ne savez pas, Ali, mais vous allez comprendre – bref, le soir, quand vos deux mains glissent furtivement, non, furieusement, sous votre pull, avant même d’avoir complètement franchi le seuil de l’appartement, quand elles cherchent, tâtonnent et enfin trouvent les agrafes, dans le dos, quand elles les détachent, clic, quand elles font, swip, swip, à droite, à gauche, tomber les bretelles, quand elles repassent devant, là, au creux de la chemise, pour attraper le soutien gorge par le colback, le relèvent, le soulèvent, l’enlèvent, et ah… cette délicieuse sensation de bien-être qui vous envahit, ces chairs qui se détendent, cette peau qui respire et cette putain de baleine qui cesse de vous rentrer dans le sein…
Oh oui je sais que toutes celles qui écoutent voient parfaitement de quoi je parle.
D’après une étude IFOP, elles sont même trois fois plus nombreuses aujourd’hui à avoir mis leurs soutien gorge au placard – voire à la poubelle. Trois fois plus qu’avant le confinement
Parce que chez elles, dans l’intimité, elles ont savouré tous les jours cette délicieuse sensation d’une poitrine qui respire et d’une peau qui prend l’air. Or quand on goûte à la liberté, c’est un tout petit peu difficile de retourner en tôle. En tôle ou en dentelle, d’ailleurs.
Pourtant le soutien gorge était à l’origine un outil d’émancipation des femmes
Au XIXe siècle, on l’invente pour remplacer le corset et libérer, au moins, la taille. Sauf qu’on se fait rattraper, et re-corseter, par la technologie. Dans les années 1990, on invente le Push up, le fameux soutien gorge à rembourrage et balconnet. Ca dit rien, ce bout de tissu ? Ca dit tout. Ca dit qu’on veut des seins et rond, et hauts et uniformes. Ca dit qu’on a le droit d’exister pour peu qu’on se fonde dans la masse. Ca dit qu’on nie la diversité du corps des femmes. Et ça dit que nous, on l’a parfaitement intégré.
Toujours dans ce sondage, la plupart de celles qui continuent de porter un soutien gorge – et donc une écrasante majorité des françaises – le font par peur du regard de l’autre, méprisant ou concupiscent, quoiqu’il arrive, jugeant, peur du regard de l’autre et du rappel à l’ordre qui s’ensuit. Oui, rappel à l’ordre. Etrangement incarné par ces gendarmes des Saintes Marie, mais qui, en réalité, va bien au-delà de leur képi…
D’après l’IFOP, un français sur cinq estime qu’en cas d’agression sexuelle, si la victime a laissé transparaître ses tétons, alors c’est une circonstance atténuante pour l’agresseur. Ah ben oui hein, c’est connu, qui dit téton dit bandaison, dit tentation dit agression. Et tout le monde est perdant. Pour faire court : nous sommes des Sheitan, des démones, des tentatrices. Vous, vous avez la maturité affective d’un chiot, gouvernés, envahis, submergés par vos pulsions vous êtes incapables de vous contrôler. À nous, donc, de faire attention, de raser les murs, de marcher tête basse, de se voiler, le corps les seins, la face… Ou pas.
Les plus jeunes sont aussi les plus nombreuses à ne plus porter de soutien gorge. Elles sont de cette génération avec qui l’étincelle MeToo est devenue brasier, ces féministes 2.0 qui ont tout compris : que l’intime était politique, et que cette révolution que nous sommes en train de vivre est bien celle du corps. D’un corps qu’on se réapproprie, d’un corps qui nous appartient enfin, qu’on mette des soutifs ou pas, qu’on le fasse parce qu’on a le choix. Je les suis, je les vois, sur les réseaux sociaux, elles m’épatent et elles m’éclatent. Et quand ce vent de liberté s’est mis à souffler cet été, quand on a vu des soutiens gorge voler, par hachtag interposé, moi aussi, je l’ai fait péter, et vous savez quoi ? J’ai adoré. Mes seins ont pointé… le bout de leur nez : l’eau, le vent, le soleil, ils ont jubilé, ils ont exulté. C’était bien, hein, les chéris ? Oui, mais c’est fini. Voilà. Cachés, rentrés, cadrés. J’ai repris le chemin de la radio. Alors j’ai remis le haut. Je sais, Ali, y a encore du boulot.
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