L'inquiétude règne sur l'avenir du "3919", le numéro d'aide aux femmes victimes de violences

L'avenir incertain de la ligne d'écoute suite à un appel d'offre. Ici une écoutante s'entretient avec une personne au téléphone.
L'avenir incertain de la ligne d'écoute suite à un appel d'offre. Ici une écoutante s'entretient avec une personne au téléphone. ©AFP - JACQUES DEMARTHON
L'avenir incertain de la ligne d'écoute suite à un appel d'offre. Ici une écoutante s'entretient avec une personne au téléphone. ©AFP - JACQUES DEMARTHON
L'avenir incertain de la ligne d'écoute suite à un appel d'offre. Ici une écoutante s'entretient avec une personne au téléphone. ©AFP - JACQUES DEMARTHON
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Alors que le nombre de signalements de femmes victimes de violences conjugales sur la plateforme en ligne a augmenté de 60 % durant le deuxième confinement (contre 40 % au cours du premier confinement), l'avenir du numéro d'écoute "3919" inquiète d'autant plus les associations.

Quel avenir pour le "39 19" ? 

Faut-il recommander de le composer ? Aujourd’hui, oui. Demain, peut-être plus. C’est le collectif Nous Toutes qui a tiré la sonnette d’alarme cette semaine, diffusant sur les réseaux sociaux une question posée au gouvernement via la plateforme des marchés publics, concernant, donc, cette ligne d’écoute : « Pourriez-vous préciser si le nom de la marque a été choisi ? » Réponse : « La marque est en cours de définition » Traduction : son nom, et donc le numéro, restera peut-être le 3919, mais peut-être pas. Corollaire : oui, ici, quand on parle d’un service d’aide, on parle bien de marque. Et de concurrence, de marché, voire d’expérience client. 

Pour mieux comprendre ce changement de paradigme, il faut revenir au Grenelle des violences conjugales : Marlène Schiappa promettait alors un renforcement du 39 19. Il serait bientôt accessible 7j/7, 24h/24h, quand aujourd’hui on ne peut appeler que de 9h à 22h en semaine, et jusqu’à 18h le week-end. Donc c’est super, on dit bravo, on dit belle prise de conscience de l’urgence de la situation, de l’ampleur du problème, et des 200 000 femmes qui, chaque année, et tous les jours, vivent sous la menace ou sous les coups de leur conjoint

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L'annonce d'un appel d'offre qui inquiète 

Sauf qu’évidemment, il y a avait un loup… Le loup, c’est cet appel d’offre, annoncé à l’automne dernier : "Si nous voulons une ligne ouverte en permanence, maintient Elisabeth Moreno_, alors il faut lui donner plus de moyens. Et si on veut que l’Etat prenne en charge 100 % de son budget, ça s’appelle un service public et donc, juridiquement, nous avons l’obligation de l’ouvrir à la concurrence"._ Faux, protestent les avocats de la Fédération nationale solidarité femmes, qui, actuellement, gère le 39 19 - numéro financé, jusqu’ici à 80 % par l’état, à 20 % par des mécènes et des collectivités territoriales. Faux, parce que l’Etat aurait pu aussi en passer par une délégation de service public, autrement dit : augmenter son aide, sans prendre la main. 

Le débat juridique est pointu, je vous l’épargne, pour en venir directement au deuxième argument du gouvernement, destiné à calmer l’inquiétude des associations : les candidats sélectionnés ne pourraient l’être que s’ils sont acteurs du tissu social ou solidaire. Reste à savoir lesquels, et à comprendre qui est outillé aujourd’hui pour remporter l’appel d’offre… 

Si on jette un œil à la centaine de critères listés par le gouvernement on se rend compte d’une chose : il est au moins autant question de quantité que de qualité, de rentabilité que d’éthique ou de compétences. On est beaucoup à avoir connu le rachat d’une entreprise ou la refonte d’un service public. On sait ce que "effort financier" veut dire. Ca veut dire : "logique comptable". Et, pour le 39 19, notamment, rogner sur la durée des appels. Alors "C’est bon, madame, j’ai compris, madame, maintenant va falloir quitter le domicile conjugal, parce que je dois raccrocher". Je force le trait, mais à peine… 

On est clairement, dans une approche entrepreunariale, pas associative

Il faut avoir une méconnaissance totale de ce qu’est la parole d’une victime, pour penser pouvoir la traiter correctement sur des critères chiffrés. Être écoutante au 3919, c’est un métier. Et le 3919, c’est un réseau de 73 associations, réparti sur tout le territoire, qui, depuis des années, travaille le sujet, affine la qualité d’écoute, creuse la réflexion sur un sujet aussi délicat qu’explosif : on parle ici de mise en danger des personnes, pas de mise en veille d’une box… 

Les associations sont les mieux placées pour répondre à ces besoins, à cette urgence, mais vus les critères en jeu, les moins à même de remporter l’appel d’offre. 

L’inquiétude des féministes est partagée jusqu’au Sénat : que va-t-il se passer si la candidature de la Fédération des femmes n’est pas retenue ? Elle est propriétaire du 3919. Va-t-elle vendre le numéro ? Pour l’instant, il n’en est pas question. On en revient donc à l’hypothèse de départ, puisque "la marque est en cours de définition" : que cette ligne d’écoute ait un nouveau nom, que le 39 19 disparaisse. 

Le gouvernement a beau démentir, le doute est permis. S’il se confirme, c’est catastrophique : grâce au travail mené depuis des années par les associations depuis des années, aujourd’hui un Français sur trois le connaît. Et c’est énorme. Changer de numéro, c’est recommencer à zéro. Et plonger des dizaines de milliers de femmes, actuellement en danger, dans l’inconnu. Alors oui, il est aussi permis de s’inquiéter.