C’est aussi un grand mouvement de solidarité… Pour marquer le coup, en plein confinement, le collectif #NousToutes organise samedi une journée de mobilisation en ligne.
L’occasion de remettre les points sur les i, si besoin était… et les lettres à la bonne place et les mots justes sur une réalité qui nous explose en pleine tête depuis trois ans, à nous en donner le tournis.
De quoi prenons nous conscience depuis le début de cette troisième révolution féministe ?
Que, oui, la France est bien le pays des droits de l’homme, mais non, pas encore tout à fait celui des femmes.
Que si la fraternité en est une vertu cardinale, elle aurait besoin d’une bonne dose de sororité pour qu’on puisse réellement parler d’égalité et, Ali, de solidarité.
Et que si nous prenons à peine conscience de l’ampleur des violences sexuelles, nous n’avons toujours pas les moyens de les appréhender. A commencer par le premier : celui de savoir les nommer. D’où ces plaquettes diffusées sur les réseaux sociaux par #NousToutes.
Et par exemple, vous savez, quand on évoque un « geste déplacé », ou un « comportement inapproprié »… Pour une main qui se colle aux fesses ou qui vous colle au mur ? C’est qu’on est restés fixés au XIXe siècle.
Quand seules comptaient la morale et sa transgression : quand on parlait d’outrage aux bonnes mœurs. Quand on ignorait délibérément ce que pouvaient éprouver les victimes, tout justes bonnes, au fond, à partager la responsabilité de la faute avec l’agresseur. Car c’est bien d’agression qu’il s’agit.
Depuis, la justice est rentrée dans les chambres à coucher, la loi s’est mêlée de l’intime et le viol est devenu une réalité.
Entre temps, les femmes ont demandé (et pas toujours obtenu) le droit de disposer de leur corps, devenu, du même coup, propriété inaltérable et inaliénable
Sans consentement de la propriétaire, rôder autour est un délit, y pénétrer, un crime.
Alors non, on ne peut pas non plus parler d’abus. On n'abuse pas d’une femme comme on abuserait de la cigarette. Ca n’est pas de quantité, mais bien de qualité qu’il s’agit. C’est la nature de la relation qui pose problème ou pas. Parce qu’il y a eu échange, dialogue, respect, ou pas. Et que quand il n’y a rien eu de tout cela, quand il y a eu contrainte, violence, menace ou surprise, alors non, ça n’est pas non plus un dérapage.
On aime bien, le mot « dérapage ». Une soirée dérape, un bizutage dérape, un patron dérape, il a pas vu, il a glissé, il a ripé, et hop, il la culbutait, elle voulait pas, le pauvre, il a pas fait exprès. C’est presque rigolo, tellement c’est ballot. Mais que voulez vous, les hommes… Ah, les hommes, Ali, cette drôle de catégorie sociale à qui on attribue pas beaucoup plus de maturité et d’empathie qu’une larve avant la mue, ces pauvres petites choses qui ne savent, qui ne peuvent résister face aux pouvoirs démoniaques de toutes ces tentatrices / manipulatrices…
J’exagère à peine : tous nos premiers textes, et bon nombre des suivants, nous ont nourris de cette idée-là.
Quand l’homme viole, c’est toujours à l’insu de son plein gré. Alors c’est lui qu’on va plaindre, c’est sa victime qu’on va conspuer. Que la victime soit une femme ou un enfant, d’ailleurs…
Oui, et #NousToutes le rappelle aussi. Dire « pédophilie » plutôt que « pédocriminalité », c’est toujours dédouaner, toujours minimiser. Et ce depuis le XIXe siècle, moment où le mot apparaît dans le vocabulaire psychiatrique, désignant alors bizarrerie de l’âme humaine, caractérisée par l’amour « philie », des enfants, « pédo ». Oubliant au passage qu’à aucun moment il n’est question d’amour là dedans, pas plus qu’il n’y en dans un crime passionnel.
Oui, c’est longtemps comme ça qu’on a parlé de violences conjugales. Pour dire qu’on ne peut pas comprendre l’intimité d’un couple, qu’on ne sait pas ce qu’il se passe, dans le secret de l’alcôve. Tant qu’on ne parle ni de meurtre, ni d’assassinat, alors il n’y a ni coupable, ni victime. Il n’y a que des faits divers, qu’on se délecte à lire, sans jamais les relier.
Ne pas voir des mécanismes qui se répètent, ne pas les identifier, ne pas les nommer, ne pas les compter. Ne pas entendre qu’elles étaient 142 000 encore cette années, frappées, harcelées, violées…
Que sur ce nombre là, une écrasante majorité était des femmes, quand leurs agresseurs étaient, eux, des hommes, la plupart du temps. Et qu’à ce niveau-là, oui, on peut parler de violence de genre. Parce qu’elle est systémique, c’est à dire, produite, voire encouragée par un système tout entier. Encore faudrait-il l’admettre, si on veut le contrer, encore faudrait-il nommer. Depuis des années, les féministes le demandaient. Ca a fini par arriver, à peu près au moment de #MeToo, et pour la première fois, les médias ont employé le mot « féminicide ». C’était pendant l’affaire Daval, oui, celle-là même qu’on juge en ce moment. Qui nous rappelle que parfois, apprendre à mieux parler, c’est une victoire de la pensée.
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