Lettre au Premier ministre

Le collectif Les Colleuses sensibilise sur les féminicides et les violences faites aux femmes en collant des affiches sur les murs. Ici à valence en août 2020
Le collectif Les Colleuses sensibilise sur les féminicides et les violences faites aux femmes en collant des affiches sur les murs. Ici à valence en août 2020  ©AFP - Nicolas Guyonnet / Hans Lucas
Le collectif Les Colleuses sensibilise sur les féminicides et les violences faites aux femmes en collant des affiches sur les murs. Ici à valence en août 2020 ©AFP - Nicolas Guyonnet / Hans Lucas
Le collectif Les Colleuses sensibilise sur les féminicides et les violences faites aux femmes en collant des affiches sur les murs. Ici à valence en août 2020 ©AFP - Nicolas Guyonnet / Hans Lucas
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220 000 femmes sont victimes de violences conjugales... Parmi tous les viols commis chaque année en France - 94 000 soit un toutes les sept minutes, 1 à 2% seulement débouchent sur une condamnation.

Une lettre à notre premier ministre reclus tout seul à Matignon, et quelques chiffres, mais il a son petit côté studieux, je suis sûre qu’il adore ça. Hein, Jean, t’aime ça, les chiffres, coquin… Alors voilà la lettre. 

« Cher Jean, 

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Je sais pas si tu te souviens, mais moi, si… C’était la semaine dernière, c’était à Saint-Denis, t’étais en déplacement, Maison des Femmes, visiblement, ça t’a saisi, parce que t’as dit : « le problème des violences faites aux femmes, il faut le prendre à bras le corps ». 

Là dessus, on est tous d’accord. Toi t’avais même l’air énervé, t’as répété, que chaque année 220 000 femmes étaient victimes de violences conjugales, c’est un scandale, c’est une grande cause nationale – t’as eu raison de le souligner, moi-même je l’avais oublié. 

T’as été bon, t’as ajouté que ces chiffres on peut les faire baisser, que c’est pas une fatalité, qu’ensemble on peut tous y arriver.

Le problème c’est que t’as enchaîné, t’aurais pas du, là, t’as rippé… :

Il faut pour cela d’abord que les femmes viennent saisir les autorités de l’état, la police, la justice, pour dénoncer leur condition.

Ah ben non, non, non, Jean, il faut rien. Ces femmes, là, elles ne doivent rien, elles ont zéro obligation. Je crois que la contrainte ça va, elles ont assez donné comme ça. Alors ce mot, là, ça va pas…
T’as du t’en rendre compte aussi, la phrase d’après, tu t’es repris : « N’hésitez pas à sortir de l’ombre, vous serez accueillies, les auteurs de ces violences seront poursuivis sans relâche » 

Aïe. Jean, je sais même pas comment t’as fait pour glisser autant de boulettes dans une seule phrase. A tel point que les copines ont pensé que tu te foutais doucement de notre gueule. Mais moi j’ai dit non, non, il sait pas. Il bosse trop, Jean, ça se voit, alors Twitter, tu connais pas. BalanceTonPorc, ça tilte pas.
Depuis trois ans, elles hésitent pas, elles sortent de l’ombre, envoient du bois. Près d’un million de  tweet, y a eu. Mais je veux bien croire que t’aies pas vu. Le hachtag « j’ai été violée », le hachtag « je suis une victime », là aussi y en a des milliers, ouais, la parole s’est libérée. C’est ton oreille qui était bouchée… 

T’inquiète c’est pour tout le monde pareil, t’es pas le seul à pas écouter, c’est pour ça qu’on a continué. MeToo tu vois un peu ce que c’est ?  Depuis trois ans que ça secoue, le monde entier et jusqu’au bout, en Iran et en Italie, au Maroc comme en Tunisie. La pub, l’édition, la musique, les grandes écoles, la mode, ça clique. Ça tweete ça balance, ça dénonce, un entraîneur, un youtubeur, et plus récemment des rappeurs. Ça bruisse, ça gronde et ça tempête, faut croire que ça te passe au dessus de la tête. 

Alors je sais ce que tu vas me dire, mon Jean, je te vois déjà sourire : mais Giulia ça, c’est pas éthique, et le tribunal médiatique, et le lynchage sur place publique, on aime pas ça, en République. D’où ta police, d’où ta justice, qu’il faudrait toutes qu’on saisisse.
Mais tu sais quoi ? On le fait déjà…
Et là ça devient moins poétique, je vais pas te les mettre en musique, t’as ton stylo, t’a ton cahier ? T’as mère instit t’en as filé, toi t’es un élève appliqué. C’est des chiffres que je vais te donner, t’as intérêt à les noter, on les répète depuis trois ans, je vous jure, des fois, c’est fatigant. Notre boulot, nous, on l’a fait. Si ça coince c’est pas de notre côté.
T’es prêt, alors je peux y aller. 

  • Parmi les 120 femmes mortes sous les coups de leur conjoint, 1/3  avait déjà porté plainte. 
  • Parmi toutes les femmes qui veulent porter plainte, les 2/3 en sont dissuadées dans les commissariats
  • Parmi toutes les plaintes effectivement déposées, les 3/4 sont classées sans suite
  • Parmi tous les viols commis chaque année en France - 94 000 soit un toutes les sept minutes, 1 à 2% seulement débouchent sur une condamnation.

Si si, Jean, moins de 2%. Il en reste donc… A poursuivre, tu dis, sans relâche ? 98, oui, 98%. Je sais, ça fait beaucoup. C’est tellement gros que là, tu doutes. Je comprends, au début, ça m’a fait ça, à moi aussi. Mais vérifie, demande à Dupond-Moretti. Il devrait faire le nécessaire, ces chiffres sont ceux de son ministère. Le souci c’est qu’il y croit peu, même quand on lui met sous les yeux

Ah mon Jean t’es pas épaulé, si seulement tu pouvais compter sur le Ministère de l’intérieur, mais là aussi, on est baisées. Biaisées, pardon le regard est biaisé. Par le soupçon, l’accusation, ça vous fragilise un allié. Quoiqu’on en dise ou quoiqu’on fasse, difficile de se voiler la face. Ah non vraiment, t’es pas aidé. Jean crois moi je suis désolée. 

Cette grande cause nationale, t’as raison, c’est un vrai scandale. 

Allez je te laisse, t’es occupé. T’as sûrement d’autres chat à fouetter. »

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