De quel désir parle-t-on dans "L'Île de la tentation" ?

Candidates de l'Île de la tentation  saison 3 au Etats-Unis
Candidates de l'Île de la tentation  saison 3 au Etats-Unis ©Getty - USA Network/NBCU Photo Bank
Candidates de l'Île de la tentation saison 3 au Etats-Unis ©Getty - USA Network/NBCU Photo Bank
Candidates de l'Île de la tentation saison 3 au Etats-Unis ©Getty - USA Network/NBCU Photo Bank
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Si je vous dis 12 jours, 12 nuits, 5 couples, 20 célibataires, vous me dites… "L'Île de la tentation" bien sûr!

Bon, petit rappel pour les plus jeunes (ou les plus âgés) de nos auditeurs : l’île de la tentation est une émission de télé-réalité (dont le premier épisode remonte à 2002…) dont le principe était le suivant : cinq couples isolés sur une île, femmes d’un côté et hommes de l’autre, au milieu d’une vingtaine de célibataires qui avaient pour fonction, vous vous en doutez, de les séduire et donc de mettre à l’épreuve la solidité des couples participants. 

Et les îles constituent en effet souvent un décor idéal pour des émissions de télé-réalité puisque que ce sont des espaces isolés, dans lesquels on peut (pardon d’utiliser ce mot) confiner les candidats. D’ailleurs, quand ce n’est pas une île, c’est un loft, ou un château dans lequel les candidats vont vivre en huis-clos

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Mais, l’île, par son exotisme, les plages, le soleil, la mer constitue aussi une excuse toute trouvée au dénuement des corps, à l’échauffement des sens et surtout au retour à la nature. Et c’est bien ce dont il s’agit dans l’île de la tentation : placer les participants dans un cadre propice à la mise à l’épreuve de l’amour par l’irruption du désir.

Mais de quel désir parle-t-on ? Qu’est-ce que cela véhicule comme conception ou comme représentation du désir ?

Le premier postulat sur lequel repose l’émission est que le désir est une puissance destructrice. 

Si l’idée est de venir tester la solidité des couples en plaçant les candidats face à la tentation, cela repose fondamentalement sur l’idée que le désir est une force incontrôlée, naturelle, qui est susceptible de désorganiser ou de détruire ce que la société et la raison en nous sont au contraire capables de maîtriser et de construire. 

Alors de ce point de vue-là, deux traditions philosophiques s’opposent. 

Pour l’une, en effet, le désir est comme un cheval nerveux que la raison doit chevaucher et maîtriser, et même une soif inextinguible qui condamne l’homme à être perpétuellement frustré ou déçu. C’est ce que l’on trouve dans une grande partie de l’histoire des idées, de Platon à Schopenhauer. 

Une autre tradition philosophique voit au contraire dans le désir notre force vitale et notre énergie créatrice, et de ce point de vue-là on aura peine à dire mieux que Spinoza chez qui le désir est tout simplement « l’essence de l’homme », ce qui nous permet de persévérer dans notre être et de donner de la valeur aux choses, à celles que nous désirons précisément, puisque selon la formule de Spinoza ce n’est pas parce qu’une chose est bonne que nous la désirons mais c’est parce que nous la désirons que nous la trouvons bonne.

Derrière cette conception du désir comme porteur de chaos se cache autre chose, que l’île de la tentation dit aussi implicitement : la nature brute de notre désir

L’idée de l’émission c’est quand même, disons-le franchement, de mettre en présence des candidats largement dévêtus et souvent fortement alcoolisés et donc de faire éclater les habitudes et le polissage qui font tenir les couples dans leur cadre ordinaire et quotidien. 

Évidemment le lien de notre désir au corps nous ramène à ce qui semble en effet relever de la nature : le désir serait l’expression de ce qu’il y a de plus physique en nous. C’est ce que nous en dit Kant par exemple en opposant nos désirs sensibles aux principes intelligibles issus de la raison qui doivent nous permettre de les dominer. Mais parce qu’il est inscrit dans nos corps, le désir en est-il pour autant forcément naturel et immédiat ? Depuis Freud au contraire, nous savons ce que le désir peut porter de charge symbolique, certes inconsciente. 

De la même manière, le désir mimétique théorisé par René Girard nous montre ce qu’il a de socialement construit puisque pour Girard ne sont désirables que les êtres ou les choses qui sont désirables pour autrui. Il n’y a alors là plus rien de naturel… 

Relever ce que le désir a de construit nous permet ainsi de comprendre le poids du social et de la culture dans la production de nos désirs, pourquoi le désir d’égalité de certaines ferventes féministes n’atteint jamais la chambre à coucher où elles désirent un homme qui les domine. Ou comment le désir des hommes est traversé de nombreuses normes sociales en termes de classe ou d’idéal féminin, comme le montre le sociologue Florian Vörös qui analyse les pratiques de consommation pornographique d’une quarantaine d’hommes dans son ouvrage "Désirer comme un homme" paru cette année. 

Ce que l’île de la tentation dit du désir, c’est donc bien le contraire de ce qu’il est réellement. Quant à savoir ce que dit de moi le fait que quand on me dit « île », la première chose à laquelle je pense soit l’île de la tentation, ça, c’est une autre histoire….

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