Électre, un passé qui ne passe pas

"Oreste et Electre" Sculpture de marbre du 1er siècle après JC. Provenant de la collection Ludovisi à Rome au Museo Nazionale Romano
"Oreste et Electre" Sculpture de marbre du 1er siècle après JC. Provenant de la collection Ludovisi à Rome au Museo Nazionale Romano ©AFP - Leemage
"Oreste et Electre" Sculpture de marbre du 1er siècle après JC. Provenant de la collection Ludovisi à Rome au Museo Nazionale Romano ©AFP - Leemage
"Oreste et Electre" Sculpture de marbre du 1er siècle après JC. Provenant de la collection Ludovisi à Rome au Museo Nazionale Romano ©AFP - Leemage
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Qu’est-ce qu’on pouvait faire si on était jeune, femme ou homme, et si on appartenait à une famille maudite, une famille de dingues, qui n’arrêtaient pas de s’entretuer, génération après génération.

Comment vivre sa jeunesse, son envie de vivre, le simple bonheur d’exister avec ça, avec cette malédiction ?

Imaginez : vous vous appelez Électre, ou Oreste. Ce sont deux jeunes gens. Il y a une dizaine d’années, votre père a été assassiné par votre mère, et en plus votre mère a pris un amant, qu’elle a fini par épouser, et avec lui, elle fait des enfants.

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Imaginez : vous êtes exclu de votre famille : mise au rebut, réduite à l’état d’esclave, si vous êtes une fille, comme Électre, ou vous êtes exilé, loin de chez vous, comme Oreste, qui a dû quitter précipitamment le palais familial alors qu’il était encore tout petit (remarquez, cela vaut mieux : vous êtes ainsi à l’abri des mauvais coups ; mais vous êtes privé de tout).

Imaginez : votre père, l’homme que votre mère a tué, s’appelait Agamemnon. C’était le plus glorieux, le plus grandiose des rois grecs : il a commandé pendant dix années une immense armée qui est allée prendre la ville de Troie, en Asie. Il revient, glorieux, certes après avoir perdu des milliers de soldats grecs, après avoir perdu la plupart de ses camarades, Achille, Ajax, Patrocle et tant d’autres, mais il a gagné. Et voilà que le jour où, triomphant, il rentre chez lui en Grèce, sa femme, Clytemnestre, votre mère, l’assassine, traitreusement. Elle lui tend un piège et le saigne dans sa baignoire. Ce meurtre, elle l’a préparé avec son amant, un nommé Égisthe.

Comment réagir ? Que faire ? Que feriez-vous à la place d’Électre et d’Oreste ?

Reprenons l’histoire. Clytemnestre avait de bonnes raisons de s’en prendre à son mari : juste avant de partir avec sa flotte pour aller attaquer Troie, ce mari, Agamemnon, a tué leur fille, la magnifique et jeune Iphigénie. Il ne l’a pas fait de bon gré. Les dieux l’avaient exigé. Sinon, la flotte ne pouvait pas prendre la mer. Les dieux ont été cruels, sauvages.

Mais il reste qu’Agamemnon a tué Iphigénie, sa fille. Pour sa femme, Clytemnestre, cette mise à mort était un meurtre, qui ne pouvait être payé que par un autre meurtre, celui d’Agamemnnon.

Dès qu’Agamemnon rentre de campagne, après dix ans de guerre, c’est chose faite.

Les années passent. Oreste, leur fils, grandit dans son exil. Il donne quelques nouvelles à sa sœur Électre, qui est son aînée.

Électre attend. Elle passe tout son temps à évoquer la mémoire de son père assassiné, et à haïr sa mère, la meurtrière. Elle attend qu’un vengeur de son père arrive. Ce ne peut être que son frère Oreste, qu’elle n’a pas vu depuis des années. Mais il n’est pas là. Son absence s’éternise.

Le temps stagne, les jours se répètent, identiques, entre le palais royal, où Clytemnestre et son amant, devenu son mari, font tout pour vivre heureux, et la tombe d’Agamemnon, abandonnée, que personne ne vient honorer. Électre est confinée dans ce vide, année après année.

Mais un jour, soudain, tout change. Oreste rentre clandestinement dans sa ville natale, à Argos. Il arrive incognito, avec son ami Pylade. Il se cache. Il est très prudent, car il se prépare à un acte de violence.

Il est déterminé à venger son père et donc à tuer sa mère, Clytemnestre, sans oublier le complice, Égisthe. Il se sent chargé d’une mission divine. Le dieu Apollon lui a donné l’ordre de venger son père par la ruse et par la violence.

Oreste, en rentrant dans son pays natal, va rencontrer sa sœur Électre, qu’il ne connaît pas. Il ne l’a pas vue depuis sa petite enfance.

Que va-t-il se passer ? Comment se fera la rencontre ? Comment vont-ils s’y prendre, ces pauvres exclus, bannis et humiliés, pour abattre des gens beaucoup plus puissants qu’eux, le couple royal Clytemnestre et Égisthe, bien installé dans son palais et protégé par une armée de gardes ?

Références pour le site (Quand les dieux rôdaient sur la Terre)

Textes lus ou mentionnés.

Électre chez Hésiode : mentionnée comme fille de Clytemnestre, Catalogue des femmes, fragment 19 Most, v. 16.

Sophocle, Électre : prologue (extraits, Oreste) ; entrée en scène d’Électre (v. 86 ss.) ; parodos (chœur, Électre, v. 135 ss.) ; premier épisode,v. 277 ss. (les fêtes organisées par CLytemnestre), v. 306 ss. (Électre au-dessus des lois) ; deuxième épisode (extraits), confrontation entre Clytemnestre et Électre ; v. 766 ss. (réactions à l’annonce, fausse, de la mort d’Oreste) ; quatrième épisode (extraits, rencontre d’Oreste et d’Électre)

Traduction par Jean et Mayotte Bollack, Paris, Éditions de Minuit, 2007.

Sur l’Électre  de Sophocle :

Karl Reinhardt, Sophocle (1933), traduit par Emmanuel Martineau, Paris, Éditions de Minuit, 1971, le chapitre « Électre ».

Jean Bollack, « Les deux Électre », La Grèce de personne, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 313-335.

Jean Bollack, Au jour le jour, Paris, Presses Universitaires de France, 2013, entrée « Sophocle ».

Jacques Jouanna, « L’Électre de Sophocle, tragédie du retour », dans Albert Machin et Lucien Pernée (éds.), Sophocle. Le texte, les personnages, Publications de l’Université de Provence, 1993, p. 173-187.

Jean Alaux, Le Liège et le filet. Filiation et lien familial dans la tragédie athénienne du Ve siècle av. J.-C., Paris, Belin, 1995.

Sur le culte des « tueurs de tyrans » à Athènes :

Vincent Azoulay, Les Tyrannicides d’Athènes. Vie et mort de deux statues, Paris, Éditions du Seuil, 2014 (voir p. 92-94 sur l’Oreste d’Euripide).

Tragédie, traumatisme, mémoire traumatique :

Bessel van der Kolk, Le corps n’oublie rien (2014), trad. fr. par Aline Weill et Yvane Wiart, Paris, Albin Michel, 2018.

Les archives de l'INA

Extrait  de "Electre"  de Sophocle en direct et en public depuis la cour du musée Calvet à Avignon

J’habite dans ma propre maison avec les assassins de mon père…ils me commandent …

Théâtre et Cie France Culture 13/07/2008 ,  Jeanne Balibar est Electre

Antoine Vitez  La tragédie nous aide à vivre car c’est un exercice de lucidité, le théâtre en général sert à élucider la confusion du monde

Florence Dupont Electre n’est pas une Antigone ratée

C’est un personnage de haine qui ne peut fonctionner que dans la haine qui dialogue dans la colère

Les chemins de la connaissance France Culture : 28/04/1983

Antoine Vitez Electre est abîmée par sa résistance. Elle est insupportable. Elle n’est pas sympathique. Elle n’est pas gentille. Elle est au fond usée, éraillée. Elle a la voix rauque. Et ça, ça m’a fait penser à un poème de Brecht très beau. Le poème qui s’adresse, comme il dit, à ceux qui naîtront après nous. Où il dit que la lutte contre l’injustice rend, elle aussi, la voix rauque.

16 juin 1986 France 3

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