Nathalie Sarraute : "Je pense qu’il est impossible de se voir soi-même"

Nathalie Sarraute
Nathalie Sarraute  ©Getty - Louis Monier
Nathalie Sarraute ©Getty - Louis Monier
Nathalie Sarraute ©Getty - Louis Monier
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Le 16 octobre 1989, Nathalie Sarraute est dans Radioscopie. Née en 1900, Nathalie Sarraute a donc 89 ans lorsqu’elle reçoit Jacques Chancel chez elle pour cet enregistrement de Radioscopie sur France Inter. Son roman Tu ne t'aimes pas vient tout juste de sortir aux éditions Gallimard.

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Cet écrivain extrêmement personnel, qui écrivit dès 1939 sous forme de sensations, d’images et de sentiments, celle qui initia le Nouveau Roman dans les années 1950, celle qui vit son œuvre complète éditée de son vivant dans la bibliothèque de la Pléiade, reste un esprit remarquable et percutant.

Début de l'entretien

Jacques Chancel : Etes-vous consciente d'être un figure du siècle de la littérature

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Nathalie Sarraute : "Non, absolument pas. Comment voulez vous que j'en sois consciente ? Je suis restée tellement longtemps sans qu'on parle beaucoup de mes livres. Et puis, j'ai pris une telle habitude de vivre seule et assez retirée. Comment voulez vous que je sache ce qu'on en dit au dehors ? On me le dit, comme vous venez de me le dire, mais ça ne représente rien de réel. Ça ne change rien à mon emploi du temps, à mon sentiment de la difficulté d'écrire, à tous les moments difficiles que je peux vivre."

Vous pensez que la littérature naît de la solitude? 

"Je ne crois pas. Je crois qu'il y a des écrivains comme Henry James qui sortait et qui dînait en ville tous les soirs. Je ne crois pas du tout que la solitude soit nécessaire." 

Dans les années 50, on vous a installé sur un socle. C'était le socle du nouveau roman et c'était une aventure littéraire. Vous la vivez, vous l'avez vécu comment ?

"J'étais très seul au point de vue littéraire. Les Tropismes avait eu très peu de lecteurs. Portrait d'un inconnu avait eu beaucoup de mal à se faire publier, même avec une préface de Sartre. J'ai commencé à réfléchir moi même un peu sur le roman. Pourquoi je ne pouvais pas écrire d'une certaine façon? Parce que c'était venu spontanément. Je ne me disais pas 'je vais faire quelque chose de neuf'. Je ne pouvais pas écrire autrement. Alors j'ai écrit L'Ere du soupçon en 50, dans les temps modernes. Et puis après, j'ai écrit d'autres articles et quand ils ont paru en livres, ça a attiré l'attention des critiques. Et puis ça a attiré l'attention d'Alain Robbe-Grillet qui, lui, déjà, était connu. Il travaillait aux Éditions de Minuit avec Jérôme Lindon. Il a pensé que ce serait intéressant de créer une sorte de mouvement littéraire pour lutter contre une certaine tradition qui était imposée par la critique. Émile Henriot était contre ça. Il a fait un article assez défavorable, mais il avait dit 'on peut appeler ça Le nouveau roman'. Et Robbe-Grillet s'est emparé de cela avec la fortune que vous savez." 

En savoir plus 

Retrouvez Nathalie Sarraute dans l'émission Lectures pour Tous du 15 mai 1957, un entretien avec Pierre Dumayet où ils évoquent l'écriture du premier livre, Tropismes, écrit en 1932, refusé par de nombreux éditeurs, puis édité en 1939 chez Robert Denoël, dans l'indifférence générale. Le texte sera reconnu par la critique lors de sa réédition en 1957 aux éditions de Minuit, d'où cet entretien.