

Julien Pebrel est co-directeur de l'agence Myop, Alain Keler est membre de la même agence. Deux photographes, deux générations, en dialogue dans un entretien sur leurs parcours photographiques et leurs manières d'envisager le métier de photographe aujourd'hui.
Alain Keler :
Le photographe est souvent un gêneur.
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Pouvoir produire, exposer la photographie, éditer des ouvrages… De générations différentes, Alain Keler et Julien Pebrel sont membres de l'agence MYOP, une agence de 20 photographes documentaires ou photojournalistes qui partagent un intérêt pour le réel, les écritures du réel.

Julien Pebrel est le co-directeur de l'agence Myop.
On aime bien faire, fabriquer des choses, avec nos mains.
Après avoir été dans de grandes agences de photographes (comme Sygma), Alain Keler est devenu indépendant pour voler de ses propres ailes et avoir le temps de travailler au long cours et d'entrer en profondeur dans les sujets. Il est aujourd'hui membre de l'agence Myop. "C’est la meilleure chose que j’ai pu faire depuis très longtemps. Je retrouve un esprit, une bienveillance, ce dont beaucoup de photographes peuvent rêver."
Début juillet, à Arles, pendant la semaine d'ouverture des célèbres Rencontres de la Photographie, l'agence MYOP avait investi une ancienne école du centre-ville : 18 salles sur 1000 mètres carrés présentant les œuvres de chaque photographe de l'agence.
Alain Keler
AK : "J’ai été photojournaliste. C’est une période passée. Les sujets géopolitiques continuent à me passionner, mais aujourd’hui je suis beaucoup plus photographe. Je travaille sur la mémoire, sur quelque chose qui me hante depuis très longtemps, lié à une histoire de famille : mes grands-parents juifs polonais sont arrivés France au début du XIXe siècle; ils ont été déportés, je ne les ai pas connus si ce n’est au travers de ma mère qui les pleurait quand je suis né. Ce sont des choses que j’entendais, qui se sont mises dans mon cerveau et qui sont revenues à la surface au moment où je voyais mes parents vieillir - ce moment-même où j’ai commencé à les photographier de manière intensive."
AK : "Au cours d'un de mes travaux sur les minorités dans l’ex monde soviétique, au détour d’une rue, je me suis aperçu que j’allais sur les traces de ma propre histoire. C’est par ces minorités que le monde communiste a explosé".
AK : "J’ai eu excessivement peur en Tchétchénie parce que j'étais totalement indépendant, sans personne derrière moi, j’avais juste cette envie au ventre de faire des photos"

(photo décrite à l'antenne par Julien Pebrel)
AK : "C'est dans le quartier général Russe à Grozni, en janvier 1995. Au milieu d'un parc dévasté, il y a ce russe qui joue du piano à la nuit tombante. Je n’ai fait que deux images car la nuit tombait très vite. C’est une image un peu folle, qui contraste bien évidemment avec la situation, les bruits de bombardements qu’on entendait autour, les morts étendus au sol… La musique était présente. Dans toutes les guerres, il y a des photos, des scènes où on voit la musique »

(photo décrite à l'antenne par Emmanuel Kherad)
AK : " On est en banlieue de Jérusalem, j’étais en voiture ; en bas d’une très grande montée j'ai vu ce couple de très vieux Palestiniens qui attendait un autobus. Je les ai fait monter dans ma voiture. Quand je suis arrivé en haut de la montée, j'ai vu dans le rétroviseur leur visage, et en face de moi le mur qui est en construction et la terre aride de Jérusalem, avec quelques arbres sur la colline : on a tous les ingrédients de la guerre au Moyen-Orient - une guerre pour la terre. J'ai arrêté ma voiture et j'ai fait la photo."

(photo décrite à l'antenne par Fanny Leroy)
AK : "C'est une photo de mes parents. Ce sont des petits vieux. Derrière, il y a ma mère, qui n’est pas là - elle a la maladie d’Alzheimer - et mon père, un peu inquiet. J’ai fait cette photo à la porte de leur maison un jour où je leur rendais visite. J’avais un rapport très fort avec eux, et le fait d’aller souvent les voir m’a aidé à les photographier. L’appareil photo a été pour moi d’une aide magnifique dans mes rapports avec mes parents que je redécouvrais."
Julien Pebrel
Après être rentré à l'agence MYOP en 2011, Julien Pebrel en devient le co-directeur en 2016. Il réalise des reportages et des portraits pour Libération, XXI, Causette, M le magazine du Monde, L'Obs, Géo, le Sunday Times Magazine .... Julien Pebrel a des projets personnels qui portent sur le Caucase du Sud et ses Etats non reconnus (Arménie, Géorgie, Abkhazie, le Haut-Karabagh), ainsi que sur la ville roumaine de Sulina (le km zéro du Danube)…

JP : "Il s'appelle Nikolaï. Il fait partie de la communauté chrétienne des Doukhobors. Il partage sa vie entre Sotchi en Russie et le village de Gorelovka en Géorgie, dont il est originaire. Ce sont des gens qui ont débarqué de Russie au début du 19°siècle. Ils ont un rapport à la nature très fort et très particulier, très mystique. Nikolaï est le chef de cette communauté religieuse."
Aller plus loin
► Le site d'Alain Keler
► Le blog d'Alain Keler, Le journal d’un photographe, « L’écriture est devenue pour moi un complément indispensable à la photographie. Dans la photo, il y a le cadre. Dans l'écriture, il y a le hors-champs. Je l’écris parce qu’il se passe des tas de choses qui éclairent la situation. » Le "Journal d'un photographe » sera publié fin octobre aux éditions de Juillet, et reprendra de nombreuses photographies de la vie de photographe d'Alain Keler.
► France Inter est partenaire des Rencontres photographiques d'Arles
Programmation musicale
- Tony Bennett et Lady Gaga, « The Lady is a tramp »
- Bernard Lavilliers, « Muse »
- Lisa Ekdahl, « L’aurore »
- Tamino, « Habibi »