Chinois, Américains et Français se partagent ce marché en pleine expansion. Compétition féroce et enjeux environnementaux les départageront.
Voitures, vélos, scooters, trottinettes : le marché du véhicule électrique explose aujourd'hui (voir infographie en bas de page) et ce n’est pas par hasard : les batteries ont fait d’énormes progrès, et n’ont plus rien à voir avec celles que l'on trouve dans les voitures classiques. Dans celles-ci, on a encore recours à des batteries au plomb et à l’acide sulfurique, toxiques et non recyclables. Pour les voitures électriques, on dispose maintenant de batteries au lithium (les mêmes que celles des téléphones portables). Des batteries de plus en plus puissantes, de plus en plus autonomes, et de plus en plus légères.
D'énormes profits à venir
Un marché fabuleux, qui se chiffre en centaines de milliards de dollars. Les perspectives de croissance sont gigantesques : deux millions de batteries ont été vendues en 2016, mais les experts prédisent six millions dans trois ans.
Une guerre économique fait rage, guerre que les Français ont déjà perdue car ils n'y ont pas cru. Pourtant, c’est bien un Français, Michel Armand, qui a inventé en 1980 la batterie au lithium qui équipe aujourd'hui la plupart des voitures électriques.
Au début des années 2000, les constructeurs automobiles haussaient les épaules lorsqu’on leur parlait de voitures électriques. Selon Michel Armand, "ils affirmaient que les moteurs seraient toujours à essence en 2050". N'ayant pas de véritable projet industriel à grande échelle autour de la batterie électrique, la France a bradé le brevet à d’autres pays qui ont su en profiter.
Trois acteurs inégaux
Aujourd'hui, le marché est partagé en trois entre :
- La Chine
Le pays, déjà très en pointe sur les panneaux solaires, a développé d'immenses usines de production. Selon le conseiller en investissements Rajesh Varma, "les Chinois détiendront 90% de la production mondiale de batteries en 2020". Une avance irrémédiable.
Ce quasi-monopole permet à la Chine de faire la pluie et le beau temps auprès des constructeurs de voitures, qui sont obligés de s'y fournir et doivent se plier à ses exigences. Des alliances commerciales sont nécessaires, comme l'a fait durant l'été 2017 le français Renault avec le chinois Dongfeng .
- Tesla
Un autre leader mondial de l'électrique est la firme américaine Tesla, avec à sa tête un certain Elon Musk. Ce "Steve Jobs de la voiture électrique" a sorti trois modèles de voitures équipées de piles au lithium et au cobalt. Cela lui a permis de s’imposer progressivement comme un acteur incontournable sur le marché mondial, malgré sa capacité de production encore relativement faible.
L’entreprise a en effet des délais de fabrication très longs, et seules quelques voitures dernier cri ont été livrées pour l’instant (les délais peuvent atteindre 18 mois, car Tesla ne possède qu’une seule usine de fabrication).
La production automobile nécessite des usines d’assemblage et des usines de fabrication de batteries à travers le monde, et pas seulement aux Etats-Unis, car les batteries au lithium sont très dangereuses à transporter. "On ne peut pas les acheminer par avion, et par bateau cela reste très long", explique encore l’expert Rajesh Varma.
Est-ce rentable ? Tesla affiche une perte de un milliard de dollars cette année. Mais les investisseurs croient tout de même à son succès. "D'ici deux à trois ans, Tesla fera 7 % de marge, car l'assemblage des voitures est déjà automatisé", explique Olivier Ken, analyste chez Ecofi.
- Un Français dans la course : Vincent Bolloré
Autre acteur dans cette course à la batterie : Vincent Bolloré, qui a créé son réseau d’auto-partage, Autolib. Il possède une usine de batteries à Quimper en Bretagne. Reste qu’il lui faut aussi du lithium pour les fabriquer. Ne disposant pas de sa propre source d'approvisionnement, Bolloré reste dépendant d’autres fournisseurs et doit acheter son lithium en Amérique du Sud et en Chine.
Mais le groupe Bolloré ne pèse pas grand-chose comparé aux Chinois et à Tesla. D’une part, sa capacité de production de batteries se limite à 1 gigawatt/heure (GWh), contre 100 GWh pour la Chine et 35 GWh pour Tesla. Il reste donc un petit acteur au niveau mondial.
D'autre part, son modèle n’est pas rentable. Autolib va encore afficher en 2017 des pertes de l’ordre de 100 millions d'euros. On peut douter de la survie de ce système.
Chez Bolloré on réfute cette vision des choses. On estime qu’il y a de la place pour tout le monde. Didier Marginedes, directeur de Blue Solution pour le groupe Bolloré, confirme cette stratégie d'expansion mondiale du groupe : "Rien de ne nous interdira dans le futur d'avoir des usines beaucoup plus grosses." Précisons qu'aucun projet de construction d'usine en Chine n'est prévu.
Pour être crédible, Bolloré espère aussi vendre une partie de ses batteries en Afrique, où il est très implanté et dispose d’un solide réseau.
Absence de standard
Concurrence féroce signifie aussi problèmes de compatibilité. Cordon, tension électrique, prise, courant continu ou alternatif : chaque constructeur y va de son dispositif.
Même s'il existe un arbitre, l’Afnor (Association française de normalisation), qui a tenté de mettre un peu d'ordre, il n’y a toujours pas de standard unique.
Sans parler du nombre de bornes de recharges dont la France manque aussi cruellement : Ségolène Royal en espérait un million à l'horizon 2020, or il n’en existe en 2017 que 6 000 pour 33 000 voitures électriques en circulation.
Malgré la mise en libre-service payant de l’accès à certaines bornes du réseau d’auto-partage Autolib, il est difficile de trouver un point d'accès. Et c’est d’autant plus un problème que recharger chez soi prend près de 8 heures.
Une énergie écologiquement discutable
On présente la voiture électrique comme LA solution à la pollution, mais ce n'est pas si simple.
Pour produire une batterie, les constructeurs ont recours à des matériaux dont l'utilisation (plasturgie, extraction de lithium…) dégage du CO2. Selon Michel Armand, "il faut qu'une voiture électrique au cobalt roule au minimum 40 000 km pour pouvoir compenser le CO2 émis lors sa fabrication".
Pour pallier ce problème, un système de recyclage de ces composants se met en place. Ce recyclage fonctionne déjà pour les batteries usées. Pour Philippe Dupuy, de l’Afnor, "cette filière permet de récupérer 99 % de la matière. On peut compter sur du lithium recyclé pour fabriquer les futures batteries." Le recyclage est d'autant plus nécessaire que la denrée est rare.
L’idée est aussi de donner une deuxième vie à ces batteries. Au bout de trois à quatre ans, la batterie sur la voiture perd 30 % de sa puissance. Mais elle n’est pas morte pour autant : elle peut encore servir à stocker de l’énergie, solaire par exemple, et permettre à une habitation de devenir plus autonome en électricité. C'est ce que propose notamment Tesla.
Des solutions d'avenir : la piste du moteur à hydrogène
Parallèlement à l'essor des batteries au lithium, d'autres technologies sont expérimentées pour moins polluer. C'est le cas du moteur à hydrogène. Le principe ? De l’oxygène au contact de l’hydrogène permet de produire de l’électricité et de l’eau (fonctionnement de la pile à combustible). Avantage : l’hydrogène est beaucoup plus facile à transporter, ce qui permettrait de stocker de l’électricité en la faisant venir de n’importe quel coin de la planète. Pour Pascal Mauberger, PDG de la société McPhy, "le but est de remettre cette énergie abondante et peu onéreuse en face de ses consommateurs".
Mais tout reste à faire. Nicolas Hulot a rencontré cet été les acteurs de l'hydrogène français (dont Pascal Mauberger, également président de l' Afhypac), qui réclament un plan de soutien pour créer une filière française, avec un objectif de production de 800 000 voitures en 2030. A suivre…
Le sel comme alternative au lithium
Et si Jules Verne avait vu juste ? Le sel comme moyen de propulsion électrique, tel que l'imaginait l'auteur, pour le sous-marin du Capitaine Nemo, c'est peut-être ce qui nous attend. La filière sodium est aujourd’hui explorée dans nos laboratoires "car le lithium manquera d'ici 50 ou 100 ans", d'après le professeur au Collège de France Jean-Marie Tarascon, qui souhaite devenir leader et commercialiser ces recherches.
Des batteries qui carburent… aux fruits
D'autres recherches tout aussi surprenantes sont encouragées par l' Ademe (Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie). Des sels minéraux issus de la nature, comme les quinones, obtenus à partir de résidus de fruits comme la rhubarbe, pourraient servir à obtenir une matière première moins polluante.
Une production nucléaire à l'équilibre
Si demain tout le monde roule en voiture électrique, faudra-t-il plus de centrales nucléaires pour les alimenter ? A priori non. Certes, la consommation d’électricité augmenterait. Mais selon l’ancien patron de l’Ademe Bernard Laponche, le réseau actuel pourrait suivre : "Avec la disparition des grandes industries et des appareils de moins en moins énergivores, la consommation a même tendance à baisser en France."
Ainsi les parcs de TGV, de métros et de bus électriques cumulés ne consomment aujourd’hui que 3 % de l’électricité disponible en France. C’est dire s’il y a encore de la marge !
Et cela laisse augurer de gros profits pour les constructeurs de batteries et de véhicules électriques…
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