Menaces sur le journalisme d'investigation

Jean-Pierre Canet, Fabrice Arfi, Jacques Monin, Jacques Trentesaux, Luc Bronner et Mark Lee Hunter
Jean-Pierre Canet, Fabrice Arfi, Jacques Monin, Jacques Trentesaux, Luc Bronner et Mark Lee Hunter ©Radio France - Léa Dupouy Hennequin
Jean-Pierre Canet, Fabrice Arfi, Jacques Monin, Jacques Trentesaux, Luc Bronner et Mark Lee Hunter ©Radio France - Léa Dupouy Hennequin
Jean-Pierre Canet, Fabrice Arfi, Jacques Monin, Jacques Trentesaux, Luc Bronner et Mark Lee Hunter ©Radio France - Léa Dupouy Hennequin
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Utilisation ambigüe des médias par Emmanuel Macron, budget en retrait dans l'audiovisuel public, plaintes contre des médias après les Paradise Papers : un contexte difficile pour le journalisme d'investigation.

Avec

Emission spéciale débat avec : Fabrice Arfi (Médiapart), Luc Bronner (Le Monde), Jean-Pierre Canet (ex Cash Investigation), Mark Lee Hunter (indépendant), et Jacques Trentesaux (Médiacités).

Macron : une certaine vision du journalisme

Les propos d'Emmanuel Macron au Congrès de Versailles en juillet 2017 (en pleine affaire Ferrand) mettent en lumière sa vision du journalisme (extrait à 16 min 30 sec) :

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J'appelle à en finir avec cette recherche incessante du scandale, avec le viol permanent de la présomption d'innocence.

Luc Bronner, directeur des rédactions du Monde, analyse cette ambiguïté : "D'un côté, il plaide la mise à distance [entre le pouvoir politique et la presse], de l'autre, il utilise tous les supports médiatiques dans une logique de "communication".

Et il précise : "les rapports difficiles avec le pouvoir sont une bonne nouvelle", tandis que Fabrice Arfi (Médiapart) ironise sur la "scénarisation" de l'interview bienveillante au Palais de l'Elysée mené par Laurent Delahousse en décembre 2017 :

C'était une interview debout, mais un journalisme couché.

L’enquête de Secrets d’info
4 min

D'autres signes alarment les journalistes sur les réactions du monde politique aux révélations sur le travail législatif en cours. En 2017, deux rapports ont fuité dans la presse :

  • le projet de réforme du code du travail,
  • le projet de réforme de l’audiovisuel public.

Or, dans les deux cas, les ministres Muriel Pénicaud, puis Françoise Nyssen, ont menacé de porter plainte contre cette fuite d'informations. Cette démarche interroge les journalistes : est-ce une manière de faire pression ? Pour Fabrice Arfi : "C'est un signal qui montre que le pouvoir politique n'accepte pas d'être dérangé, et refuse le désordre que peut provoquer le journalisme".

France Télévisions : vers moins d'investigation ?

Le journaliste Jean-Pierre Canet rappelle que pour que les journalistes puissent exercer leur fonction correctement, il faut qu'ils puissent vérifier les informations. Pour cela, il faut financer un temps de travail important afin de pouvoir rencontrer des sources, se documenter, compiler des dossiers. A la télévision, ce travail coûte cher. L'annonce des réductions budgétaires inquiète. Pour Jean-Pierre Canet, "c'est une attaque directe contre l'investigation" :

"Delphine Ernotte devait faire une économie de 50 millions d'euros, qui ne doivent pas être uniquement porté sur les épaules des magazine [ndlr Cash Investigation, Envoyé Spécial, Complément d'enquête].

Pour Fabrice Arfi, les intentions de Delphine Ernotte, qui depuis a reculé, sont claires : "On a demandé à 80% des effectifs de l'investigation de faire peser sur ses épaules la régulation de 50 petits millions d'économies sur une masse de 2,5 milliards de budget !".

Paradise Papers : une plainte contre la fuite de données

En décembre 2017, le cabinet de conseil Appleby, dont une fuite de données est à l’origine de l’opération des Paradise Papers, a entrepris de poursuivre en justice The Guardian et la BBC. Le cabinet compte sur le prononcé de fortes amendes et demande la publication de la totalité des données piratées afin de déceler d’où vient la fuite. Luc Bronner estime que cette démarche pose problème :

"Leur méthode vise à obtenir que les médias soient contraints de rendre publiques ces données. Or, dans notre travail, on tient une ligne ferme face aux autorités policières : on ne transmet pas les données"

On ne remplit pas une mission de police ou de justice, on fait un travail de révélation journalistique.

A priori, The Guardian et la BBC ne divulgueront pas leurs sources.

L'union fait la force

Le défi face auquel se place le journaliste d'investigation est aujourd'hui double. Non seulement, les grands intérêts économiques et les pouvoirs politiques s'en méfient, mais encore, la méthodologie a considérablement changé : il s'agit désormais d'exploiter des données massives.

Pour ces deux raisons, le journalisme devient collaboratif. Deux consortiums de journalistes existent : l' ICIJ (à l'origine des Paradise Papers), et l' EIC.

Autre forme de collaboration : les alliances avec les ONG. Mark Lee Hunter a pu s'en rendre compte à l'assemblée des journalistes d'investigation ( GIJC) qui s'est tenue en Afrique du Sud en novembre 2017. Par exemple, Greenpeace a travaillé avec le Guardian et la BBC. Selon Mark Lee Hunter, les journalistes vont dans les ONG, pour voir leur travail financé et diffusé. Une démarche qui a tendance à se généraliser…

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