Taxer les revenus réels des GAFA : une opération quasi impossible

Les GAFA bientôt taxés en France ?
Les GAFA bientôt taxés en France ? ©AFP - Lionel BONAVENTURE
Les GAFA bientôt taxés en France ? ©AFP - Lionel BONAVENTURE
Les GAFA bientôt taxés en France ? ©AFP - Lionel BONAVENTURE
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La France veut taxer les GAFA, les géants du numérique comme Google, Apple, Facebook et Amazon. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, souhaite mettre en place une taxe dès cette année. Mais l'affaire n'est pas simple, car les GAFA minorent leur chiffre d'affaires.

► Une enquête d' Isabelle Souquet, cellule investigation de Radio France

Pour pouvoir être imposée, une entreprise doit disposer d’un cycle complet de production dans le pays – le terme consacré est "l’établissement stable" – cela signifie concrètement avoir des bureaux, des locaux, des boutiques, des salariés, tout ce qui peut matérialiser la présence physique de la société dans le pays. 

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Ce n’est pas le cas avec les GAFA et les entreprises numériques, puisque l’on est dans un domaine virtuel. Pour prendre l’exemple de Google, la plupart des Français utilise ce navigateur, mais la société n’a pas de siège en France : la maison-mère est en Irlande. Les bénéfices de Google en France sont donc imposés en Irlande. C’est le même système qui est utilisé par les autres géants du numérique, jusqu'à Netflix qui n’a pour l'instant, aucune représentation ni salarié en France, n’y déclare aucun bénéfice et paie donc… zéro euro d’impôt. 

De nombreux freins

Changer la loi permettrait la création de cette notion "d’établissement stable virtuel". Une étape intéressante, mais pas suffisante, car elle se heurterait très vite aux conventions fiscales internationales, qui sont supérieures aux droits nationaux. La fiscalité a beau être une prérogative de chaque État, à partir du moment où il s’est agi de commercer à l’international, il a fallu répartir les charges en pays. Par exemple, un Français qui fait une mission en Italie ne peut pas être imposé à la fois en France où il réside, et en Italie où il a été payé. Les conventions et traités internationaux, qui réglementent tout cela, n’ont pas encore pris en compte les activités numériques.

À cela se rajoutent les pratiques de ruling (les "rescrits" en français). Ce sont des accords directs entre les entreprises et les États. Pour continuer avec Google, son accord de ruling avec l'Irlande, lui permet d‘être contrôlée et gérée depuis les Bermudes. Google est donc essentiellement imposé dans ce paradis fiscal. Y compris pour les bénéfices qui proviennent des utilisateurs français de Google…

Les entreprises du numériques sont passées maîtres dans l’art de cette optimisation fiscale, évasion fiscale qui, pour être tout à fait légale, ampute d’un impôt les pays consommateurs.

Des tentatives avortées…

Ce n’est pas la première tentative de taxation des GAFA. 

Sous la présidence de François Hollande, en 2016, le député Yann Galut écrit une proposition de loi pour taxer les entreprises qui contournent la loi grâce à ces différents montages. Tentative retoquée, son amendement est déclaré anticonstitutionnel pour une question de forme : le texte laissait à l’administration le choix d’appliquer ou non la mesure, ce qui n’est pas possible. Si une loi existe en France, elle doit s’appliquer. 

Deuxième tentative, en 2017, l’État exige de Google un remboursement d’arriéré d’impôts de plus d'un milliard d'euros. Tentative là aussi retoquée par le tribunal administratif de Paris, faute de pouvoir démontrer que Google possède en France ce fameux "établissement stable".

Écarts entre chiffre d'affaires réel et déclaré

A défaut de changer la loi, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a donc décidé de contourner la difficulté en taxant non pas le bénéfice, mais – avec un pourcentage plus faible, de 3 % - l’estimation du chiffre d’affaires réalisé en France. D’après le ministère de l’Économie, la taxe GAFA à venir devrait rapporter 500 millions d’euros par an à la France. 

Mais cette estimation ne va pas être simple à réaliser. En effet, chaque entreprise du numérique a sa spécificité, son business model. Pour une fois le cas de Google n’est pas le plus complexe : il tire l’essentiel de ses revenus des publicités envoyées à l’internaute qui fait une recherche. D'après le syndicat des régies publicitaires SRI, Google détiendrait 90 % du marché publicitaire sur internet, pour un chiffre d’affaire français estimé à 1,8 milliards d’euros, bien au-dessus des 325 millions d’euros déclarés par la firme. 

D’après les cabinets spécialisés en fiscalité, l’écart est aussi considérable pour les autres GAFA, comme Apple, qui aurait réalisé 3,9 milliards d’euros de chiffre d'affaires en France en 2017, mais n'a déclaré que 800 millions d'euros. Quant à Netflix, dont le chiffre d’affaires est estimé à 300 millions d’euros par an en France, il ne déclare... rien du tout, zéro euro. 

Des pays divisés

La mesure voulue par Bruno Le Maire dénote une volonté de faire avancer les choses, comme l’ont fait par exemple l’Italie ou l’Autriche, qui ont déjà mis en place une taxe similaire. Mais cela reste une politique de petits pas. Elle est efficace pour les pays avec lesquels il n’y a pas de conventions avec la France – comme les paradis fiscaux – mais pour peser sur des entreprises numériques internationales, il faudrait pouvoir avancer en même temps sur le front de la fiscalité internationale globale. Et les freins sont nombreux. 

Déjà, en Europe, plusieurs pays qui pratiquent ce qu’on appelle pudiquement une "économie ouverte", c’est-à-dire des paradis fiscaux comme le Luxembourg ou les Pays-Bas, et dans une certaine mesure l’Irlande, ne veulent pas se plier à une règle qui les priverait d’une grande partie de leurs ressources. D’autres comme l’Allemagne, grand fournisseur de voitures aux États-Unis n’en veut pas non plus, par crainte de représailles sur son marché à l’export. Réussir à obtenir l'unanimité en Europe parait une mission impossible. Bruno Le Maire a ainsi renoncé, jeudi 28 février 2019, à soutenir le projet de taxe européenne, dans l'attente d'un accord international.

De nouveaux poids lourds du numérique en embuscade

A l’échelon mondial, les freins sont encore plus nombreux. 

Les GAFA tels que nous les connaissons, essentiellement américains, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Il commence à y avoir sur le marché d’énormes plateformes de commerce numérique, notamment chinoises, qui vont certainement devenir plus puissantes encore que leurs homologues. 

Il faut enfin rajouter à cela que la majorité des multinationales freine des quatre fers pour éviter que l’on rebatte les cartes de la fiscalité internationale, de peur que l’on ne vienne regarder leurs comptes de trop près. Elles sont nombreuses en effet à pratiquer l’évasion fiscale – légale, mais pas très éthique – qu’une meilleure transparence des transactions internationales permettrait de mettre a jour. 

Un Jour dans le monde
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Ainsi le country by country reporting, la comptabilité pays par pays, mesure portée par l’OCDE et soutenue par beaucoup d’ONG, permettrait de savoir, pour chaque entreprise, l’endroit où elle localise et délocalise ses bénéfices grâce à ses filiales un peu partout dans le monde. De nombreuses entreprises françaises du CAC 40, et particulièrement dans le monde du luxe font partie de celles qui sont vent debout contre de nouvelles mesures fiscales internationales, et le font savoir à Bercy par un lobbying constant. 

La taxe GAFA de Bruno Le Maire a beau sembler une mesure très mince au regard des enjeux, c’est donc tout de même un premier pas plutôt salué… en attendant des règles communes au plan mondial, sur lesquelles travaille depuis longtemps déjà, notamment, l’OCDE.

Aller plus loin

  • Le rapport de la mission d’information de l'Assemblée nationale relative à l’évasion fiscale internationale des entreprises
  • Sans domicile fisc, un livre des parlementaires Alain et Éric BOCQUET (éditions du Cherche midi)

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