La famille Bertrand de Beauvoir sort désargentée de la guerre de 14. Un déclassement qui va s'avérer être une aubaine pour Simone et sa sœur. Philippe Collin nous raconte comment les deux filles Beauvoir sont obligées d'emprunter un itinéraire différent de celui de leur mère.
- Michelle Perrot Historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l'Université Paris Cité
- Bertrand Gougeon historien des élites sociales
- Christophe Charle Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
- Danièle Sallenave Écrivaine, membre de l’Académie française
Une fois la paix signée, les parents de Simone de Beauvoir sortent fragilisés et désargentés de la guerre, au point que leurs filles n'auront pas de dot en vue d'un mariage. Il faudra que ces deux filles travaillent et que, dès lors, elles reçoivent la formation nécessaire pour pouvoir exercer un travail qui, néanmoins, ne doit pas les faire déchoir.
En 1924, Simone de Beauvoir a seize ans et elle est reçue au baccalauréat avec la mention bien dans les deux séries : lettres et mathématiques. Ce diplôme lui ouvre le chemin de l'université et d'une vie à inventer.
Dans ce deuxième épisode, vous allez comprendre comment, au cœur des années folles, les études supérieures ont servi de sas à Simone de Beauvoir pour passer d'un monde à un autre.
L'après-guerre, une volonté d'émancipation
Entre 1914 et 1918, un grand nombre de femmes goûtent à la liberté et à la dignité qu'offrent un travail et un salaire. Michelle Perrot, historienne, explique que ce sera dur pour elles d'abandonner cela à la fin de la guerre. Après 1918, le statut des femmes est alors très ambigu, entre l'émancipation de la garçonne et le retour au foyer pour une grande majorité des femmes françaises, puisque la République lance une politique nataliste.
Les années folles (1920-25) sont les années de jeunesse de Simone de Beauvoir. Il y a volonté d'émancipation et une possibilité d'émancipation, du moins dans certains milieux, notamment à Paris et dans les grandes villes. Mais d'un autre côté, la France de l'après-guerre, politiquement, est une France conservatrice.
La plus jeune agrégée de France
En 1924, Simone de Beauvoir décroche le baccalauréat. Et ce n'est pas une année ordinaire dans l'histoire des femmes, car c'est l'année même où une réforme du baccalauréat rend le diplôme mixte et permet à Simone de Beauvoir d'intégrer l'université. Georges de Beauvoir, son père, est pourtant hostile à ce que Simone fasse des études supérieures, car, selon Christophe Charle, historien, elle va être plus savante que lui, et il n'aura plus prise sur elle. Mais elle est très douée pour les études et devant les succès universitaires de sa fille aînée, il envisage soudain Simone comme une championne du ring qui gagne ses combats.
Simone de Beauvoir fait la rencontre de Jean-Paul Sartre, lui aussi un gamin de la bourgeoisie. À la Sorbonne, elle commence à fréquenter des intellectuels de gauche. En 1927, Simone de Beauvoir signe une pétition pour réclamer la grâce des anarchistes Sacco et Vanzetti, condamnés à mort aux États-Unis et sans doute innocents. En tant qu'étudiante, c'est aussi la première fois qu'elle fréquente de jeunes hommes, à commencer par René Maheu, avec qui se noue une tendre et réelle amitié. C'est bien lui, et non pas Jean-Paul Sartre, qui lui attribue son surnom de Castor, de "Beaver" en anglais.
Le 30 juillet 1929, Sartre est reçu le premier à l'agrégation de philosophie et elle, deuxième. Elle devient, à 21 ans, la plus jeune agrégée de France, ce qui est exceptionnel, surtout pour une femme, car très peu de femmes passent l'agrégation à l'époque. Dans la foulée, Simone de Beauvoir quitte le domicile familial. Elle entame sa vie de liberté, tandis que son amie d'enfance, Élisabeth, reste prisonnière de son milieu. Simone rencontre Zaza une dernière fois par hasard, le 7 novembre de cette année-là, dans un restaurant sur les Grands Boulevards à Paris. Les jours suivants, Élisabeth dépérit, victime d'une méningite infectieuse. Elle meurt le 25 novembre. Elle avait 21 ans.
Simone de Beauvoir, professeure à Marseille
En octobre 1931, Simone de Beauvoir est nommée professeur à Marseille, au lycée Montgrand. C'est son premier poste d'enseignante. Elle va se mettre à randonner et découvre une certaine forme de liberté. De son côté, Jean-Paul Sartre a été nommé professeur au Havre. Elle ne veut pas épouser Sartre donc ça signifie la séparation, mais ils forment un couple et ont conclu aussi ce fameux pacte, qui les lie.
Au moment de la crise du 6 février 1934, où la République est menacée par les ligues d'extrême droite, Simone de Beauvoir, 26 ans, observe les événements. Comme beaucoup de Français, elle était pacifiste, convaincue qu'une guerre était impossible. Et lorsque le Front populaire gagne les élections en 1936, il y a comme une forme de soulagement.
À l'automne 1936, Simone de Beauvoir a été nommée à Paris. Elle fait sa rentrée au lycée Molière. Elle décide de vivre au Royal Bretagne, un hôtel de Montparnasse où descend Sartre lui aussi. Ils ont chacun une chambre, entourés de ce qu'ils appellent la petite famille, une sorte de communauté où les couples se font et se défont au gré des désirs.
Intervenants
Michelle Perrot, Professeure émérite d'histoire contemporaine à Université Paris Cité, codirectrice de “Histoire des femmes en Occident” (Perrin), “Les Femmes ou les silences de l’histoire” (Flammarion),
“Le Temps des féminismes” (Grasset, 2023)
Bertrand Goujon, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Reims, spécialiste des élites sociales à l’époque contemporaine , auteur de
« Je maintiendrai : femmes, nobles et Françaises : 1914-1919 » (Vendemiaire)
Christophe Charle, Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Panthéon-Sorbonne. Ancien directeur de l’Institut d’Histoire moderne et contemporain
Danièle Sallenave, écrivaine, membre de l’Académie française, autrice de
“Castor de guerre” (Gallimard, 2008)
Équipe
- Production : Philippe Collin
- Réalisation : Eric Lancien
- Lecture : Julie Sicard, Bérengère Warluzel
- Assistance éditoriale : Irène Menahem, Aurore Juvenelle
- Documentation sonore : Frédéric Martin, Romain Couturier
- Mixage et sound design : Basile Beaucaire, Benjamin Orgeret
- La chronologie des faits a été établie par Sylvie Le Bon de Beauvoir aux éditions Gallimard (La Pléiade)
Références
- Extrait documentaire Simone de Beauvoir, de Josée Dayan, 1978
- Extrait documentaire Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, le couple mythique, de Max Cacopardo, Madeleine Gobeil et Claude Lanzmann, 1967
- Je m'efface donc, Aujourd'hui la vie, France 2, 14 mai 1985
- Les Malheurs de Sophie, de Christophe Honoré
- Entretien avec Wilfrid Lemoine, émission Premier plan, 8 novembre 1959, Radio Canada
- Slogan "Toutes les femmes sont dans la rue", TF1 Actualités, 06 octobre 1979
- Femmes autonomes, Actualité du livre Collection : RDF / RTF / Autres (1949-1963), 4 novembre 1949
- Simone de Beauvoir : pourquoi je suis féministe, Questionnaire Collection, TF1, 6 avril 1975
- 1900, de Bernardo Bertolucci
- Munitionettes, Eve mémoire, 24 mai 1964
- La maison des bois, de Maurice Pialat
- Coupe garconne, Aujourd'hui madame, 31 décembre, 1976
- Clerambard, de Yves Robert
- Entretiens avec Robert Garric, France Culture, 27 juillet 1964
- La femme et le foyer, RDF / RTF, 15 juillet 1950
- Téléfilm Stavisky, de Claude-Michel Rome
- Extrait lu de La Force de l'âge, par Berengère Warluzel
- lecture extrait de Mémoires d'une jeune fille rangée, par Berengère Warluzel
- Résultats des élections législatives : reportage devant les grands journaux Collection, RDF / RTF / Autres (1949-1963), date de 1re diffusion dimanche 10 novembre 1946
- 1938 Anschluss Hitler, Inter actualités de 13 heures, France Inter, date de 1re diffusion mardi 12 mars 1968
- La France vaincra, 2000 ans d'histoire, France Inter, 11 mai 2009
Bibliographie
Mémoires (qui réunit les cinq livres de mémoires rédigés par Simone de Beauvoir), édités sous la direction de Jean-Louis Jeannelle et Eliane Lecarne-Tabone, Bibliothèque de La Pléiade, 2018
Album Simone de Beauvoir, de Sylvie Le Bon de Beauvoir (Gallimard, 2018)
L'équipe
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