Simone de Beauvoir, 1947. ©Getty - Hulton Deutsch

Dans le fracas du siècle (1939-1949) | Ep.3

Lundi 15 mai 2023

Simone de Beauvoir, 1947. ©Getty - Hulton Deutsch

Le couple Sartre-Beauvoir a choisi de rester à Paris sous l'Occupation. Une expérience qui a radicalement changé leur rapport au monde. Et dans ce troisième épisode, Philippe Collin vous propose de comprendre pourquoi.

Avec

Christophe Charle Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Pascal Ory Historien, spécialiste d’histoire culturelle, membre de l’Académie française
Danièle Sallenave Écrivaine, membre de l’Académie française
Manon Garcia Philosophe, Junior Fellow à la Society of Fellows de l’Université de Harvard

Lorsque la guerre éclate en septembre 1939. Simone de Beauvoir a 31 ans et elle aspire toujours à devenir une grande écrivaine. Cette pacifiste convaincue comprend tardivement que la tragédie de l'histoire va venir se mêler à son propre destin. Commence alors une situation inédite où il faut d'abord lutter contre ses peurs, puis s'adapter au contexte et expérimenter des chemins inconnus. La guerre, à nouveau, va bouleverser le cours de sa vie.

À la fin des années 1930, Simone de Beauvoir vit dans son monde, avant que le monde lui-même ne la rattrape brusquement.

Sartre et Beauvoir pendant la guerre

Les accords de Munich sont signés le 30 septembre 1938. Ils règlent la crise des Sudètes en laissant croire que la paix est sauvée grâce aux accords de Munich. Le 1ᵉʳ septembre 1939, Hitler envahit la Pologne. Le 3, la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne. Jean-Paul Sartre et Jacques-Laurent Bost – amant de Simone de Beauvoir – sont mobilisés. Après la drôle de guerre pendant laquelle les armées se sont fait face sans bouger pendant des mois, en mai 1940, la Wehrmacht se lance à l'assaut de la France. En quelques semaines, le pays s'effondre et début juin, Simone de Beauvoir ne sait plus que faire.

Le 14 juin, les Panzer entrent dans Paris. Réfugiée près de Nantes pour échapper aux Allemands, Beauvoir se ronge les sangs. Elle a deux hommes à la guerre. Beauvoir revient à Paris dès le 28 juin, quelques jours avant le vote des pleins pouvoirs à Philippe Pétain. À l'automne 1940, le bilan est lourd pour Simone de Beauvoir. Sartre est prisonnier de guerre, transféré dans un stalag en Allemagne, et leur ami Paul Nizan est mort durant la bataille de France le 23 mai 1940. Heureusement, Jacques-Laurent Bost, blessé au combat, est revenu s'installer à Paris et lui et Simone de Beauvoir se voient beaucoup durant les premiers mois de l'Occupation.

Et puis, coup de théâtre, grâce à un certificat médical frauduleux, Jean-Paul Sartre est libéré. À partir de son retour en mars 1941, il souhaite s'engager. Pascal Ory, historien, explique qu'il organise quelques réunions, mais lui-même déclare ensuite qu'il faut s'arrêter là. Ainsi, à partir de fin 1941, la vie de ces jeunes intellectuels parisiens reprend doucement.

La Seconde Guerre mondiale propulse Beauvoir et Sartre sur le champ de bataille idéologique entre un éveil à la cause des opprimés et une forme de culpabilité d'avoir été sourds aux soubresauts des années 1930 et de ne pas avoir été résistants sous l'Occupation. On ne peut classer Simone de Beauvoir ni parmi les résistants, ni parmi les collaborationnistes. Son attitude se niche assurément dans une zone grise.

Après la Libération, Beauvoir et Sartre deviennent deux têtes politiques, alors qu'ils s'étaient jusque-là tenus très éloignés des idéologies. Que s'est-il passé ? Sans doute une prise de conscience au contact des événements tragiques. Peut-être faut-il y voir aussi l'expression d'une forme de culpabilité de ne s'être pas engagés dans la Résistance. Dès 1945, Sartre fonde une revue littéraire et philosophique, Les Temps modernes, titre en hommage au film de Chaplin. Il y voit une urgence politique.

Beauvoir aux États-Unis

En janvier 1947, devenue une figure intellectuelle très en vue, Simone de Beauvoir est invitée par l'Alliance française à donner une série de conférences dans des universités américaines. Beauvoir fait la connaissance d'un romancier afro-américain, Richard Wright, avec qui elle visite Harlem, le quartier des populations noires de Manhattan. C'est une rencontre essentielle pour comprendre le cheminement intellectuel de Simone de Beauvoir. Beauvoir compare l'oppression exercée sur les femmes à celle que subissent les populations afro-américaines.

À Chicago, elle rencontre Nelson Algren, un romancier de talent, qui est intéressé par la culture populaire. C'est un des grands amours de sa vie, avec une dimension sexuelle et romantique. Mais après quatre mois passés aux États-Unis durant l'hiver 1947, Simone de Beauvoir rentre à Paris où Jean-Paul Sartre l'encourage à creuser son sillon.

Intervenants

Christophe Charle, Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Panthéon-Sorbonne. Ancien directeur de l’Institut d’Histoire moderne et contemporain
Pascal Ory, Professeur émérite à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, membre de l’Académie française , spécialiste d’histoire culturelle
Danièle Sallenave, écrivaine, membre de l’Académie française, autrice de “Castor de guerre” (Gallimard, 2008)
Manon Garcia, philosophe, écrivaine, professeure de philosophie à la Freie Universität de Berlin, autrice de « On ne naît pas soumise, on le devient » (Flammarion) et de « La Conversation des sexes, philosophie du consentement » (Flammarion)

Équipe

Production : Philippe Collin
Réalisation : Juliette Médevielle
Lecture : Julie Sicard, Bérengère Warluzel
Assistance éditoriale : Irène Ménahem, Aurore Juvenelle
Documentation sonore : Frédéric Martin, Romain Couturier
Mixage et sound design : Basile Beaucaire, Benjamin Orgeret
Chronologie des faits : Sylvie Le Bon de Beauvoir aux éditions Gallimard