Vue de la gare Montparnasse a paris, 1910. ©AFP - ©The Holbarn Archive/Leemage

Tenir son rang (1908-1920) | Ep.1

Lundi 15 mai 2023

Vue de la gare Montparnasse a paris, 1910. ©AFP - ©The Holbarn Archive/Leemage

Dans cet épisode, Phillipe Collin, en compagnie d'historiennes et d'historiens, explore le destin de Simone de Beauvoir, en commençant par son enfance bourgeoise, avec cette ambition : sonder le passé pour éclairer le présent.

Avec

Christophe Charle Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Michelle Perrot Historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l'Université Paris Cité
Danièle Sallenave Écrivaine, membre de l’Académie française

Simone de Beauvoir, née en 1908, a traversé le XXᵉ siècle comme une entreprise d'émancipation. Écrivaine, prix Goncourt pour Les Mandarins en 1954, mais surtout militante féministe et autrice du Deuxième Sexe il y a près de 40 ans. Son destin est exceptionnel et parfois complexe, mais elle demeure cette femme qui a montré le chemin à toutes les autres. D'abord à l'ombre de Jean-Paul Sartre, elle s'est hissée à sa hauteur, puis elle l'a dépassé. Et aujourd'hui, son œuvre résonne dans notre présent.

Cette série historique s'intitule "Simone de Beauvoir, itinéraire d'une jeune fille rangée", parce que sa vie fut un itinéraire audacieux entre les lignes de la bourgeoisie. Elle s'est affranchie d'un avenir qui était tout tracé et ce fut un long périple pour conquérir sa liberté. Dans ce podcast, il est question de sa vie, mais aussi de l'histoire de la bourgeoisie française au XXᵉ siècle et de celle du mouvement féministe.

Le nom de Beauvoir

Simone de Beauvoir grandit au cœur de Paris, dans un milieu bourgeois. Or, elle s'appelle de Beauvoir, avec une particule. Quel sens donner à cette apparence aristocratique ? Est-elle d'ascendance noble ? En faisant des recherches, Christophe Charle, historien, s'aperçoit qu'en réalité leur vrai nom, c'est Bertrand, qui est un nom bourgeois et tout à fait roturier. Cette particule aurait été ajoutée dans les années 1830. Et puis, dans ses écrits, Simone de Beauvoir explique que son père allait jouer les aristocrates alors qu'il n'en avait ni les revenus ni les titres.

Christophe Charle placerait, durant l'enfance de Simone de Beauvoir, selon les données à disposition, la famille dans la moyenne bourgeoisie, dans la mesure notamment où leur fortune est assez récente, et également parce que c'était une famille obsédée par les mariages. Le grand-père de Simone de Beauvoir, banquier, père de sa mère, connaîtra cependant une faillite assez retentissante en 1909.

Une enfance bourgeoise à Paris

Avant la Première Guerre mondiale, la famille de Beauvoir vit dans le quartier de Montparnasse, dans une vie confortable, sans excès. Françoise de Beauvoir accouche de Simone en 1908. Elle a alors 22 ans. Michelle Perrot, historienne, explique que le rôle des femmes à l'époque, c'est d'être une épouse, une mère, une maîtresse de maison. La famille de Beauvoir véhicule des valeurs conservatrices, voire réactionnaires, celles d'un monde ancien où la femme est vouée à la sphère privée, au service de son époux. La mère est une fervente catholique et la religion occupe une place considérable au point de dicter le choix pour l'éducation scolaire de Simone. La jeune fille rangée n'ira pas à l'école républicaine, mais au cours Désir, qui est un cours catholique.

Très vite, dans ce cours privé de la rue Jacob, Simone de Beauvoir noue une amitié fusionnelle avec une jeune camarade, Elisabeth Lacoin, dite Zaza, qui venait d'une famille nombreuse, rigoriste catholique. La jeune Zaza était une jeune fille irrévérencieuse. Elle tirait la langue à sa mère, mais au fond, elle restait sous la coupe de son éducation catholique rigoriste. Simone de Beauvoir, elle, était une jeune fille très disciplinée, mais elle a vite exprimer un esprit frondeur. Sans doute, s'y sentait-elle autorisée par une éducation moins stricte.

En août 1914, Simone de Beauvoir a six ans et toute l'Europe sombre dans la guerre. La famille perd de l'argent et les de Beauvoir subissent donc un déclassement après la guerre. Le père, Georges Bertrand de Beauvoir, est un dilettante et ne fait a priori pas grand-chose pour maintenir son rang. Ainsi, ce déclassement social offre de nouvelles perspectives à la jeune fille rangée.

Intervenants

Christophe Charle, Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Panthéon-Sorbonne. Ancien directeur de l’Institut d’Histoire moderne et contemporain
Michelle Perrot, Professeure émérite d'histoire contemporaine à Université Paris Cité, codirectrice de “Histoire des femmes en Occident” (Perrin), “Les Femmes ou les silences de l’histoire” (Flammarion), “Le Temps des féminismes” (Grasset, 2023)
Danièle Sallenave, écrivaine, membre de l’Académie française, autrice de “Castor de guerre” (Gallimard, 2008)

Équipe

Production : Philippe Collin
Réalisation : Violaine Ballet
Lecture : Bérengère Warluzel
Assistance éditoriale : Irène Menahem, Aurore Juvenelle
Documentation sonore : Frédéric Martin, Romain Couturier
Reportage : Martine Abat
Mixage et sound design : Basile Beaucaire, Benjamin Orgeret

La Chronologie des faits a été établie par Sylvie Le Bon de Beauvoir aux éditions Gallimard (La Pléiade)