On va voir que le sucre, comme le sel, a eu un tel rayonnement à travers le temps et dans le monde que ça l’a installé à une place primaire et primordiale en termes de goût et de symbole. Et ça, ça se reflète dans la langue française.
Déjà, il est intéressant de voir qu’on a commencé par importer le sucre de loin avant de comprendre qu’on pouvait en tirer de nos betteraves sucrières. Et donc le mot aussi, est un mot voyageur.
Nous en France, on est allés le chercher chez nos voisins Italiens - et même siciliens ! pour être exacte – au XIIe siècle. Ils avaient le mot zucchero qui a fait fortune en Europe septentrionale avec l’allemand zucker, l’anglais sugar, le néerlandais suiker (showker), et notre français sucre et même saccharose.
Mais ça c’était juste la fin du voyage. Parce qu’avant d’arriver en Sicile, le zucchero était passé par l’Egypte où l’arabe sukkar avait lui-même été emprunté au persan shakar dont on retrouve les racines en sanskrit sharkara : la mère patrie du mot sucre étant l’Inde où Alexandre le Grand et ses compagnons s’émerveillaient d’un « miel sans abeilles ».
Ce sucre voyageur a donc donné son nom à une saveur : le sucré
Et voilà, enfin, après l’acide et l’amer, une saveur facile, aimable et douce. Tellement simple à aimer qu’avant de dire « c’est du gâteau ou de la tarte » pour dire « c’est agréable, aisé » on disait « c’est du sucre ». Elle suscite donc une attirance qui en fait pour bon nombre d’entre nous, une saveur irrésistible.
Et c’est ce caractère impérieux, irréfrénable – que dis-je, irréfragable – du sucre qui fait qu’on dérape parfois jusqu’à l’écœurement quand on a plongé le nez dedans.
Ce que je trouve vraiment intéressant c’est ce point de pivot où, tout à coup, trop de sucré tue le sucré : On quitte le susucre et la sucrette et on passe du côté obscur de la saveur puisqu’on se met même à lui prêter les pires intentions : drogue, addiction.
Et dans la langue une dimension spécifique qui est la fourberie. Oui, quand on sucre à l’excès. C’est là que la douceur bascule et devient suspecte. Trop c’est trop : ça ne peut pas être sincère. Quelqu’un qui est tout sucre tout miel a forcément quelque chose à y gagner.
Tenez, quand on casse du sucre dans le dos de quelqu’un, il faut avouer qu’on n’est pas animé par les meilleures intentions puisqu’on dit du mal de lui en son absence.
Et casser du sucre tout court en argot (XIXe) c’est balancer aux flics. Pas joli ! Allez un petit dernier dans cette veine : quand vous vous faites sucrer quelque chose : c’est qu’on vous prend une chose qui vous était due, que vous méritiez – et ça ne fait pas plaisir !
Mais j’ai envie de vous faire une proposition audacieuse.
Et si on employait également un autre mot pour dire cette saveur ?
Un mot qu’on emploie déjà toutes et tous et qui a cette belle qualité de ne pas restreindre le sucré à la matière première « sucre ».
Ma proposition, c’est le mot doux.
Alors vous vous dites peut-être que doux c’est bon pour les caresses, que c’est sur la peau mais pas dans la bouche, et pourtant : pour se faire plaisir on mange bien une petite douceur.
Quand on veut marier les saveurs amères et sucrées comme dans la marmelade, on va dire douce-amère – même logique pour aigre-doux – et quand on ne met pas de sucre dans son café mais qu’on le veut qu’il arrache un peu moins, on va l’édulcorer.
Dans édulcorant on entend la racine latine de doux : dulcis. Et ce mot, dulcis, voilà sa définition, il s’agit d’ « une saveur agréable, non amère » qui a une correspondance dans le grec glukus qui a donné glucose. Dulcis et glukus sont dans le même bâteau !
Donc on emploie déjà le mot doux pour dire sucré de façon générique et englobante : sans spécifier que c’est le miel qui est mielleux, le sirop qui est sirupeux ou le sucre qui est sucré. Voilà, c’est lancé mais maintenant vous en faites ce que vous voulez !
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