Le lien qui nous rattache aux autres (2)
J e suis devenu aveugle par accident, alors que je n’avais pas tout à fait huit ans. Complètement aveugle, et définitivement.
Au moins selon les définitions et le vocabulaire de ceux qui ne sont pas aveugles. Car pour moi, il en allait, tout autrement.
Je voyais encore.
L’opération ne se produisait plus par l’intermédiaire de mes yeux, cela est vrai. Mais elle se produisait.
Elle avait lieu au dedans de moi, dans un espace intérieur qu’il est difficile de circonscrire, mais, après tout, ni plus ni moins que l’espace extérieur.
J’insiste.
Toute chose qui venait à ma rencontre était aussitôt vue_,_ vue et non touchée ou entendue. Elle se dessinait, prenait forme et couleur sur un écran interne.
Et cela, sans que je fisse rien, pour déclencher le phénomène.
Au reste comment aurais-je fait quoi que ce fût, moi qui n’avais encore que huit ans. […]
J’ai constaté bien souvent que la peur d’un homme, sa colère ou sa tristesse me sont déjà visibles, alors qu’elles n’ont pas encore paru au niveau de son corps.
Je ne suis pas plus malin que les autres.
Je n’ai rien à deviner.
Je vois. Je vois, dans les formes du corps, un démembrement…
qui se met en route. Des morceaux entiers de chair, brusquement, reculent, s’affaissent, ou vibrent de façon dissonante.
Les couleurs elles-mêmes tournent au rouge, au brun-rouge, elles crient.
Je me détourne.
La colère a commencé visuellement [pour moi], mais sur le visage, dans les gestes,
tels que les yeux physiques, les perçoivent, la sérénité règne encore.
Tout dépend de l’attention. […]
Les vrais yeux travaillent en dedans de nous.
Tant pis si le vocabulaire fait défaut, s’il est faible.
Voir, c’est un acte fondamental de la vie, un acte indéchirable, indestructible,
indépendant des outils physiques dont il se sert.
Voir, c’est un mouvement que la vie fait en nous, avant les objets, avant toute détermination extérieure. Avant les objets, et après eux si, par accident, les instruments matériels de la rencontre viennent à manquer.
C’est au dedans de vous que vous voyez.
Si la lumière intérieure ne nous était pas donnée d’abord, et par conséquent les couleurs aussi, les couleurs qui sont la monnaie de la lumière, jamais nous ne pourrions admirer les couleurs du monde.
Voilà ce que je sais après vingt-cinq ans de cécité.
Jacques Lusseyran. Le monde commence aujourd’hui.
Articles scientifiques:
- Nittono H, Fukushima M, Yano A, et coll. The power of Kawaii : viewing cute images promotes a careful behavior and narrows attentional focus. PLoS One 2012, 7:e46362,1-7.
- De Waal F. The antiquity of empathy. Science 2012, 336:874-6.
- Zaki J, Ochsner K. The neuroscience of empathy: progress, pitfalls, and promise. Nature Neuroscience 2012, 15:675-80.
- Banissy M, Garrido L, Kusnir F, et coll. Superior facial expression, but not identity recognition, in mirror-touch synesthesia. The Journal of Neuroscience 2011, 31:1820-4.
- Jaak Panksepp. Empathy and the laws of affect. Science 2010, 334:1358-1359.
Agenda
- Mardi 13 novembre, de 19h à 21h :
Rencontres transdisciplinaires du Centre d’Études du Vivant
« Temps, mémoire et inconscient »
avec François Ansermet , psychiatre, psychanalyste (Université de Genève)
et Hervé Chneiweiss , neurologue, neurobiologiste, discutant.
Amphi Buffon , 15 rue Hélène Brion, 75013 Paris
Métro RER : Bibliothèque François Mitterrand. Bus : 62. 64. 89. 132. 325
Entrée libre (réservation conseillée par e-mail : centre_etudes_du_vivant@univ-paris-diderot.fr)
Films des précédentes rencontres
- Samedi 17 novembre, à Lille , de 10h30 à 13h et de 14h30 à 17h00, vous êtes invités à participer à la Réflexion publique autour de l’accompagnement des personnes en fin de vie .
La mission, présidée par le Pr Didier Sicard, recueillera vos avis et questions à l’Hôtel de Ville , 59800 Lille.
Titres diffusés :
- KATERINE - le jardin anglais (1996)
- Mathieu BOOGAERTS - Sylvia (2012)
- The Magnetic North - Bay of Skaill (2012)
L'équipe
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