Tanguy Pastureau a horreur des voix puissantes et déteste Céline Dion. Hier, il a réalisé qu'il était bien le seul : pour son concert aux Vieilles Charrues, elle a écoulé 55000 billets en 9 minutes...
Nagui : Tanguy, vous allez aborder le sujet de l’intégration.
Tanguy : Oui, parce que l’intégration, on en parle uniquement quand il s’agit des étrangers, et ça marche, regardez Roch Voisine, immigré québécois, il a fait son intéressant 2-3 ans avec sa gratte, on a failli le foutre dans un charter, mais depuis, il s’est intégré, on n’entend plus parler de lui, il tient une sandwicherie Subway à Dax. Regardez Hubert Reeves, Bébert comme je l’appelle, parce que le fait d’être tous deux des gens à forte capacité intellectuelle créé une familiarité, bon bah Bébert aussi est québécois, l’un des seuls à avoir fait carrière en France sans chanter, à cause de cette barbe qui étouffe son organe, il faut savoir que rasé, c’est le sosie vocal de Florent Pagny quand il vient de recevoir sa feuille d’impôts. Et Bébert est intégré, alors que moi qui suis français depuis 90 générations, mon ancêtre gaulois, Pasturix, bouffait déjà du saucisson, quand je vais sur le site Françoisdesouche une bannière s’affiche avec écrit « bienvenue à notre héros », j’ai le sang tellement peu mélangé que les moustiques l’été disent « non, celui-là on le pique pas tout de suite, on le garde pour une grande occasion, le permis de conduire du petit », et bien moi je ne me sens pas intégré. Pour vous dire, j’ai envie de quitter la France, pour redémarrer à zéro dans un pays où je ne serai pas connu, donc ok, je peux aussi bien rester en France. Avant, moi qui suis névrosé, dans ma tête il y a moins de couleurs qu’à la télé polonaise, je me retrouvais dans la variété française, les clips de Jean-Louis Murat dans la neige qui se faisait un manteau avec la peau de son chien mort de faim, Daniel Darc, le groupe Marc Seberg, ça c’était la France, cette nation déprimée où les gens foutent du Xanax dans leur Picon. Mais hier, j’ai compris que ma France, celle du romantisme, de la noirceur, celle qui criait « les T-shirts LC Waïkiki vert fluo ne passeront pas par moi », n’est plus.
Hier à 13h06, la nouvelle est tombée sur les téléscripteurs, comme dirait Alain Duhamel, le pigeon voyageur a apporté une note, comme dirait Jean-Pierre Elkabbach, hier à 13h06, j’appris par la presse que Céline Dion, encore une québécoise, ces gens sont partout, ils tiennent les médias et la finance, j’appris que Mme Dion écoulât en 9 minutes tous ses billets pour le festival 2020 des Vieilles Charrues. Ce festival que j’ai tant fait étant jeune, j’y ai vu Noir Désir, Placebo, que des gens qui puent la détresse, ce festival qui consistait à vomir sur des personnes en train de s’uriner dessus, une fière ambiance de celtes défoncés, a programmé Céline Dion, la hyène hurlante d’outre Atlantique. Pire, le public des Charrues, naguère branché rock indé, la plébiscite, 55000 billets écoulés en 9 minutes, j’ai calculé, pour en vendre autant, il me faudrait 40 vies de Valéry Giscard d’Estaing. Céline Dion va chanter à Carhaix, paisible bourgade de centre-Bretagne où le cri le plus puissant entendu fut celui, en 2003, d’un sanglier dans les bois. Suivi d’un 2ème cri, de M. Loïk le Gwen, qui hurla « chérie, fini les jeux coquins en forêt, je pensais que c’était toi, je viens juste de sortir avec un sanglier ». Ça sera le seul passage en festival français de Céline Dion, donc je le dis, il est encore temps de d’accorder son indépendance à la Bretagne et d’édifier un grand mur afin d’empêcher les migrants carhaisiens de rejoindre le Mont Saint Michel. Et attention, Mme Dion n’a pas refilé aux gens des places dégriffées sur BilletReduc, non, 59 euros le ticket, 59 euros pour être debout dans l’herbe, la moindre ZAD peuplée d’altermondialistes qui ont des puces, c’est gratuit de vivre la même chose, et vous avez un concert de reprises des Bérurier Noir à la flûte à bec par un paysan habillé en cuir de châtaigne.
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