

Baudelaire n’a jamais cherché à plaire, il a même plutôt cherché à déplaire, à scandaliser, en affichant son ennui, sa mélancolie, sa misanthropie, sa misogynie. On l’a même taxé d’antisémitisme.
Dans Les Fleurs du Mal , voici ce qu’il disait de Sara, courtisane qu’il fréquenta quand il avait vingt ans :
« Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive,
Comme au long d’un cadavre un cadavre étendu,
Je me pris à songer près de ce corps vendu
À la triste beauté dont mon désir se prive. »
Il lui arrive, au cours de ses conflits avec l’éditeur Michel Lévy, de faire allusion à la religion de son interlocuteur, « ce juif imbécile (mais très riche) », qui, en plus, semble faire alliance avec le notaire Ancelle, son conseil judiciaire, qui tient les cordons de sa bourse depuis les frasques de ses vingt ans et par qui il se sent persécuté (C, I, 488-489).
Dans Les Sept Vieillards, poème des Tableaux parisiens, le vieil homme rencontré dans la ville, et qui se multiplie de manière effrayante, est un avatar du Juif errant, mythe romantique, condamné à marcher toujours après avoir refusé de désaltérer Jésus durant le Calvaire.
« Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l’aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,
M’apparut. On eût dit sa prunelle trempée
Dans le fiel ; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée,
Se projetait, pareille à celle de Judas.
Il n’était pas voûté, mais cassé, son échine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son bâton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit
D’un quadrupède infâme ou d’un juif à trois pattes. »
Baudelaire s’identifie cependant à lui, par l’intermédiaire de « l’homme des foules » d’Edgar Poe.
Il a connu Alphonse Toussenel, l’auteur des Juifs, rois de l’époque, pamphlet de 1847 contre les banquiers. Il le remercie plus tard (en 1856) d’un autre livre, L’Esprit des bêtes, où il a retrouvé ses propres idées sur l’« analogie universelle » et contre le « Progrès indéfini ». Mais il ne partage pas l’antisémitisme de Toussenel, fondé sur la méfiance socialiste de la finance.
Baudelaire, antisémite ?
Elles renvoient à une affirmation de saint Augustin bien connue au XIXe siècle : « Le Juif porte les Livres d’où le Chrétien tire sa foi. Ils sont destinés à être nos bibliothécaires. » Pascal l’avait reprise dans les Pensées : « C’est visiblement un peuple fait exprès pour servir de témoin au Messie. […] Il porte les livres, et les aime et ne les entend point » (Lafuma 495).
Le mot extermination lui-même provient d’Augustin et de Pascal, qui mettaient en garde contre elle : « Si les Juifs, écrivait Pascal, eussent été tous convertis par Jésus-Christ, nous n’aurions plus que des témoins suspects. Et s’ils avaient été tous exterminés, nous n’en aurions point du tout » (Lafuma 592).
La survie des Juifs était donc essentielle à leurs yeux, indispensable afin qu’il y ait des témoins du Christ. Baudelaire se sépare-t-il de Pascal pour demander le meurtre des Juifs ? Non, puisque qu’il reprend aussitôt l’objection d’Augustin et de Pascal : l’extermination des Juifs aurait faire disparaître les témoins.
Mais alors, pourquoi « Belle conspiration… » ? Jean Starobinski nous rappelle que Baudelaire utilise en principe l’épithète par ironie ou par antiphrase (comme quand il s’attend à un « bel éreintage » des Fleurs du Mal ou qu’il moque « la belle langue de [s]on siècle » dans Le Spleen de Paris ). Elle sert donc à tourner en dérision l’idée en question. Bref, impossible de déduire de ce fragment de Mon cœur mis à nu un antisémitisme de Baudelaire.
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