

"Il a la mécanique des vers comme personne. Seulement, ses œuvres sont absolument inintelligibles et repoussantes. " Aujourd’hui, Sylvain Tesson fait semblant de faire une chose abominable : il déboulonne la statue de Rimbaud. Et si Arthur était un fumiste ?
Lire Rimbaud, c'est voyager dans la nuit polaire. On avance, on perce des voiles de brouillard, on découvre des icebergs. Ce sont les mots. Ils passent dans la brume. Il y a des glacis, des citadelles, des gouffres, un brouillard masque la vue.
On s’égard, un vers est intelligible, puis un autre noirci tout : c'est l'hermétisme. Faut-il vraiment blâmer Arthur ?
J'ai seul la clef de cette parade sauvage.
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Il nous avait prévenus dans Les Illuminations.
Cette langue secrète a enthousiasmé les cryptologues. Certains hommes de lettres ont voué leur vie à ausculter la machine Enigma des Ardennes.
D'autres sont rebutés par la langue d'initiés. Certaines sensibilités ne pardonnent pas au verbe de ne pas servir le sens. Dans ce cas-là, les lecteurs préfèrent ouvrir les moralistes du XVIIe siècle dont la langue épousait le contour de la pensée.
Rimbaud lui, brouille toutes les pistes, même celles qu'il n'emprunte pas. Et si cette opération de jonglage, à laquelle se livra l'enfant Arthur, était une imposture ? Les contemporains de Rimbaud se sont posé la question. Ce charabia est-il vraiment d'un génie ou d'un merle moqueur ?
Zola, le poète Coppée, le critique Le Pelletier… Ils furent quelques-uns à se demander si le langage désarticulé de Rimbaud ne ressortissait pas de la plaisanterie d'un gamin dilapidant son génie dans des « bouffonneries ténébreuses », selon l'expression de Félix Fénéon.
Certes, des alchimistes du verbe avaient, bien avant Rimbaud, déjà aventuré leur plume dans l'hermétisme : Mallarmé, Saint Jean de la Croix ou Novalis qui, un siècle avant Rimbaud, avait écrit :
Parler pour parler c’est la formule de la délivrance.
Le verbe démantibulé
Mais Rimbaud poussa si loin la démantibulation du verbe qu'il ne pouvait s'attirer que des critiques. Et même Verlaine, dans sa préface aux Poésies complètes de Rimbaud, avoue que l'extraordinaire poème, Voyelles, a des accents un peu fumistes.
Un policier de la préfecture de police de Paris, qui surveillait Rimbaud, a fourni la meilleure pièce au procès en fumisterie. « Il a la mécanique des vers comme personne. Seulement, ses œuvres sont absolument inintelligibles et repoussantes ». Parfois, les policiers visent juste.
Malgré les brouillards, règne toujours dans les vers d'Arthur Rimbaud un climat, un nimbe : c'est cela, Rimbaud, une intelligibilité inimitable.
L'atmosphère ressemble au XIXe siècle finissant. Dieu est mort. L'homme est perdu. Les lumières l'ont laissé en rase campagne.
Gustave Thibon a cette définition sévère de la poésie contemporaine :
Le spasme au lieu du geste, le cri au lieu du verbe. Le refus du discours poussé jusqu'au langage inarticulé.
Certes, la poésie moderne danse son carnaval par-dessus le brasier des derniers siècles, mais parfois les danses de Sioux ont leur beauté. Et celle de Rimbaud projette encore ses ombres sur les pans de ruines du temple. Et puis Arthur, comme toujours, a le dernier mot :
Est-ce de la satire, comme vous le diriez, est-ce de la Poésie ? C'est de la fantaisie, toujours.
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