

Avec ces textes, Rimbaud poursuit deux objectifs changer la langue, redire le monde. Rimbaud met le feu au verbe, allume l'incendie sur toutes choses que son regard croise. Aujourd'hui Lumière. Sylvain vous détaille les conditions d’écriture et l’’histoire mouvementé du deuxième recueil de Rimbaud : "Les Illuminations"
Rien n'est obscur comme Les Illuminations. Quand Rimbaud les a-t-il écrites ? Qui les a rassemblées ? Ont-elles subi des remaniements ? Que signifient ces textes ? Hallucinations mêlés de photographies chirurgicales, Les Illuminations ? « Soleil noir », dirait Nerval. « Obscure clarté », dirait Corneille. « Mystère et boule de suif », dirait un enfant Normand.
Rimbaud les auraient composées en 1874 sur des tables d'auberge ou des bordages de paquebot selon Félix Fénéon
C'est d'ailleurs une belle définition d'un bureau de travail.
Le jeu de feuillets passe dans les mains de Verlaine en 1875, disparaît, revient à la lumière en 1878, pour être publié en 1886 dans la revue symboliste La Vogue, puis dans un recueil introduit par Verlaine.
D'après l'ancien compagnon des nuits fauves, elles auraient été composée de 1873 à 1875 pendant des voyages, tant en Belgique qu'en Angleterre, et dans toute l'Allemagne.
Les Illuminations seraient des choses vues, glanées dans l'action. L'enregistrement d'une sismographe poétique, une image à résonance magnétique de la vie en instantané.
_Les Illumination_s ou IRM du génie ou « Illuminations Rimbaud Monitoring » On peut les lire en piochant dans les photos d'albums ou les plantes de l'herbier ou les objets du cabinet.
Verlaine les qualifiait d'ailleurs de « painted plates » « assiettes peintes » dans une lettre de 1878 à un ami.
Les Illuminations, prises une à une et dans le désordre, ont des allures autochromes, ces plaques de verre colorées dont la technique se met au point au début du vingtième siècle.
Tous les registres s'y côtoient
C'est le défilé des genres. Les textes sont ramassés, violents, vernis, secs et purs comme des écorchés d'or.
Il y a des souvenirs d'enfance, des contes médiévaux, des swing modernes, des scandes pagano-dionysiaques, des hoquets, des saynètes terribles, des photographies sociales, des frontons lyriques, des apostrophes apocalyptiques, des fables en trois lignes, des phrases comme un geyser, des tableaux comme un oracle, des prédictions sur les villes de demain, des tapisseries baroques, des mystères médiévaux, des fanfares turco wagnérienne, des examens de soi et des gifles pour tous. Les esprits forts diront : « Quel fatras ! » Les cœurs sensibles diront « quel effroi ! » Les lecteur attentifs diront : « mais c'est le monde entier en vingt poèmes ». Pas de théorie ni de démonstration.
Nous ne sommes pas dans le domaine d’Hugo où les scènes de la vie illustraient la pensée. Non, il n'y a rien à comprendre dans Les Illuminations. Rimbaud n’édifie pas, il projette.
On peut certes s'amuser à jouer à la police scientifique et à chercher dans chaque mot la référence à une expérience vécue par Rimbaud.
Mais il y a un autre plan de lecture ou une autre clé d'accès que la fiche du détective. Si l'on progresse linéairement et si l'on s'infuse totalement dans le poème, un sens général se dévoile, ou du moins un projet. Rimbaud poursuit deux objectifs changer la langue, redire le monde. Rimbaud met le feu au verbe, allume l'incendie sur toutes choses que son regard croise. Puis il disparaît. C'est la magie. Le lapin sort du chapeau, Illuminations, puis noir. La tentative s'avère risquée de proposer une autre création d'après une autre visée et dans une autre langue. Elle coûtera la vie à son auteur.
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