Eric Izraelowicz directeur du journal Le Monde qui a dirigé le volume 2 de la collection Comprendre un monde qui change en partenariat avec Le Monde/Histoire Volume 2 « Chine : de la révolution à la naissance d’un géant »

L'anomalie de l'Histoire ne réside pas dans le retour actuel de la Chine parmi les grandes puissances mais plutôt dans la longue éclipse qu'elle a connue, entre 1830 et 1980. L'empire était puissant, riche et innovant. Après les guerres de l'opium (1839-1860), les occupations étrangères (européenne, américaine puis japonaise) et les errements de la vie politique interne (l'admiration sans bornes de l'Occident dans une première phase, le dogmatisme de Mao et de ses amis ensuite) ont à leur tour contribué à un affaiblissement violent du pays.
Mao laisse à ses successeurs, à la fin des années 1970, un pays fermé au reste du monde, isolé de tout et de tous, souffrant de terribles famines et dont l'intelligentsia a été décimée par la Révolution culturelle. Mais avant sa descente aux enfers, la Chine avait longtemps été la première puissance économique de la planète, selon l'historien de l'économie Angus Maddison. Elle représentait le tiers de la richesse mondiale au début du XIXe siècle. Elle n'en pesait plus que 1 % à peine au milieu du XXe ! (...)
Des trois dogmes qui structuraient la période maoïste - les pleins pouvoirs au Parti, l'étatisation de l'économie et le "compter sur ses propres forces" -, Deng Xiaoping n'en conservera finalement qu'un seul, celui qui assure la domination du PCC sur l'ensemble de la société. Sur ce plan, très politique, malgré peut-être ce qu'il en pense, Deng ne touche à rien. Sous son règne, le régime reste autoritaire et centralisé. Sur le front économique, Deng engage en revanche une double libéralisation avec la fin du tout-Etat à l'intérieur et les débuts de l'ouverture avec l'extérieur. (...)
UNE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE EN UNE GÉNÉRATION__
La Chine a ainsi fait, en l'espace d'une seule génération (trente ans) sa "révolution industrielle", cette phase de décollage économique que l'Europe et l'Amérique avaient connue un siècle et demi plus tôt et qui avait nécessité, dans ces régions-là, deux ou trois fois plus de temps. Tout en Chine s'est fait beaucoup plus rapidement : le transfert de l'agriculture vers l'industrie, de la campagne vers les villes, l'émergence d'une classe moyenne et les débuts d'une consommation de masse. La production y a ainsi progressé en moyenne de près de 10 % par an. Elle a été multipliée par sept en trente ans. Du jamais-vu.
Jamais en effet dans l'histoire économique un pays aussi grand n'a connu une croissance aussi forte pendant une période aussi longue. Cela étant, malgré ses milliardaires, ses villes champignons et son appétit pour le luxe occidental, la Chine est au début du XXIe siècle un pays riche peuplé de pauvres, un pays jeune mais à la population vieillissante avant même de s'être enrichie. Numéro deux, derrière les Etats-Unis, par son produit intérieur brut total, elle se situe en fond de classement, pas loin de la 100e place, si l'on prend en considération le produit intérieur brut par habitant - un indicateur plus pertinent du niveau de vie de la population. (...)
Pour maintenir son rang, comme le suggère le XIIe Plan, la Chine doit désormais passer d'une croissance alimentée par l'exportation, l'investissement et la copie à une croissance fondée sur la consommation des ménages, les services et l'innovation. "Communiste", la Chine a en réalité besoin d'une double révolution : "socialiste", avec la mise en place d'un Etat-Providence, et "libérale", avec l'instauration d'un Etat de droit, le développement de réels contre-pouvoirs et la promotion de l'esprit d'initiative. Le Parti et l'Etat disent y travailler. C'est par exemple l'objectif du projet visant à assurer une protection minimale à tous les citoyens en matière de santé, de chômage ou de retraite. C'est aussi celui recherché avec l'effort mis sur l'éducation et la formation de haut niveau.
UNE DOUBLE RÉVOLUTION NÉCESSAIRE
Mais cette double révolution se heurte à de nombreux obstacles, politiques notamment. Elle est au centre des débats, intenses, voire violents, qui agitent avec plus ou moins de transparence le sommet de l'appareil communiste chinois à la veille de la grande transition qui doit conduire, en mars 2013, à l'installation d'une nouvelle équipe à la tête du pays. Une nouvelle génération, la cinquième, dit-on à Pékin, va prendre les commandes. Celle-ci n'a connu ni la révolution, ni la guerre, ni les famines. Cette génération sera-t-elle prête à poursuivre la libéralisation et l'ouverture de l'économie tout en amorçant celle de la vie politique? Acceptera-t-elle de prendre, comme le lui demandent ses partenaires occidentaux, ses responsabilités dans les affaires du monde ?
Cette nouvelle dynastie n'a pas encore fait ses choix. Elle va devoir en tout état de cause davantage compter sur son peuple, plus riche, mieux formé et informé, plus connecté aussi. Les 500 millions de Chinois qui surfent sur le Net et les 250millions d'utilisateurs de Weibo, le service de microblogging local, sont désormais une force politique qui compte, sur laquelle les maîtres de l'empire doivent en tout cas compter. En Chine, même en ce début de XXIe siècle, Mao n'est pas mort. Autour de la Cité interdite, près de la place Tiananmen, son ombre continue de circuler. Le Net pourrait lui être fatal.
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