Petit conseil aux coureurs : n’abusez pas des quenelles de brochet au beurre d’écrevisse, autrement dit sauce Nantua !
Car l’étape, qui part de cette sous-préfecture de l’Ain, sera aussi superbe qu’indigeste.
Une tuerie magnifique, une lessiveuse à pourcentages, 4600 mètres de dénivelé en ce 9ème jour de compétition.
Pour faire court, c’est la première grande étape de montagne à la parfaite césure géographique du Jura méridional et de la Savoie sous l’œil humide et bienveillant du Rhône. Sortie de la cluse de Nantua puis trois cols sous l’égide du règne animal : le col de la Biche, le Grand Colombier, le Mont du Chat
3 coups de griffes
Entrer dans la verdure pastorale et forestière du Bugey avec ce col raide aux yeux de biche - mais raide c’est rien.
Virieu le Petit, par l’ouest la route se cabre comme un cheval fou, elle tend son cou, se révolte en direction du Grand Colombier par ce versant le plus saignant. Nous sommes dans les pourcentages les plus durs de France ; quand le randonneur zigzague à 6 km/h, il est heureux, les coureurs le grimperont à 14.
Pour cacher son forfait, l’étroite jolie route se planque dans la forêt généreuse de sapins, ombragée on est dans le frais, la route monte au ciel flirtant avec les 20%. Et le cyclotouriste aime ça, y aller pour rien, pour le plaisir incompréhensible et fort de défier l’apesanteur, de se fondre dans le paysage en fabricant ses endorphines et de se faire siffler par le pouillot véloce, la fauvette à tête noire ou le geai des chênes.
Ces trois-là sont sponsorisés par la vie. 4,3 km terribles puis on sort de la forêt, un replat et c’est fini ? Non, puis virage à gauche et de nouveau du semi brutal encore 4,6 la croix en haut, à découvert dans les estives, la croix du Grand Colombier, lieu de passage des pigeons migrateurs, d’où son nom
Descente sur Anglefort, Culoz pas loin, puis une pause pour le coureur migrateur, les 2000 ha du marais de Lavours, sa réserve naturelle.
Mont du chat
55 km plus loin, ce sera le 3e animal, le Mont du chat, qui passe de 606 mètres à 1504 m en moins de 9 km, soit de nouveau un bon 10% moyen. Là c’est le programme essorage de la lessiveuse. Les mecs sur leur bécane vont rêver de la Beauce aussi plate et moche qu’intéressante à vélo. Attention aux traînards du gruppetto, la légende veut que l’énorme chat sorcier qui a donné son nom à l’endroit ne laisse passer que dix-neuf personnes et dévore la vingtième !
Le Tour n’est pas familier de ce sommet, il n’y est passé qu’en 1974. Cette année-là, l’ascension était bizarrement classée en 2ème catégorie seulement et Merckx ne s’en était pas méfié. Ce vieux matou de Poulidor– qui avait 38 ans déjà ! - lui avait mis une minute dans la vue avant que le Belge ne le rattrape dans la descente vertigineuse sur le lac du Bourget.
J’ai dit, descente vertigineuse, elle l’est ! Un truc pour cascadeur du pédalier. Comme toujours dans les grandes étapes de montagne, il faudra savoir descendre aussi bien que grimper. Pas question de risquer un œil sur le lac du Bourget, dont Balzac a écrit dans « La peau de chagrin » que « vu du haut de la Dent du Chat, le lac est là comme une turquoise égarée ». Grosse turquoise, puisqu’il s’agit du plus grand lac naturel d’origine glaciaire de France. 4500 hectares, 18 km de long pour une largeur comprise entre 1,5 et 3,5 km, séparant le Jura à l’Ouest des Préalpes à l’Est.
Et Alphonse ?
En 1817, quelques années avant Balzac, le lac du Bourget, faut-il le rappeler, avait inspiré à Lamartine ses plus fameux vers pour chanter ses amours mélancoliques pour sa muse Julie Charles, emportée par la phtisie. On était en plein romantisme, ils étaient tous dépressifs sinon ce n’était pas drôle !
Aujourd’hui le temps ne suspendra pas son vol pour les leaders et il faudra des poumons en pleine forme pour plonger sur Chambéry.
Certains prétendent que le nom de la capitale historique des Ducs de Savoie proviendrait du latin « cambarus » signifiant… « écrevisse ». C’était bien la peine de quitter Nantua !
Cette étymologie est contestée
Si la ville a vu naître Yann Barthès ou encore les frères Capuçon, elle s’enorgueillit plutôt, Chambéry et ses 4 sans culs : a-t-on déjà vu un éléphant sur un vélo ?! "Chambé", ville cyclable comme le département de l’Ain, a adopté qui ? Jean-Jacques Rousseau ! Dans sa dixième promenade restée inachevée, le philosophe se souvient avec émotion des Charmettes, demeure en direction du col du Granier avec Madame de Warens, tutrice et maîtresse qui lui appris le tandem.
Mais qui nous dira ce que seront les rêveries des coureurs solitaires ? Rêver tout simplement, oh oui, au repos bien mérité qui les attend demain lundi !
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