Ce jour-là l’archéologue souhaite dater l’occupation du célèbre site picard durant la Guerre de Trente ans. Il braque sa torche sur les parois de craie et découvre des centaines d’inscriptions faites au crayon de bois par des soldats australiens durant la Première Guerre mondiale.
- Gilles Prilaux Archéologue et chef de projet à "Somme Patrimoine", ingénieur de recherche à l’INRAP,
La découverte de sa vie
La « grotte » de Naours est une cité souterraine redécouverte à la fin du XIXème siècle par l’abbé Danicourt et devenu depuis cette époque un site touristique très fréquenté. On parle alors d’un lieu de refuge occupé dès la Préhistoire. Une trop belle histoire puisque la première occupation daterait plutôt des guerres de religion au XVIIème siècle. Ce 12 mai 2014, le travail de Gilles Prilaux, équipé d’un détecteur de métaux et d’une truelle, est justement de préciser la datation en trouvant des preuves.
Quand soudain : « Dans cette pièce plongée dans l’obscurité que je balaie avec ma torche, je vois ces dizaines, ces centaines d’inscriptions faites au crayon de bois d’une fraîcheur incroyable, et dont le noir profond se détache sur la paroi de craie blanche. Il faut imaginer des petits carrés de 4 à 5 cm2, des espaces d’expression minuscules où les soldats laissaient beaucoup d’informations : dates, noms, prénoms, villes et pays d’origine, numéros de matricule, bataillons." L’archéologue devine que ces graffitis ont été rédigés durant la Première Guerre mondiale mais sans pouvoir les déchiffrer.
L’émotion est venue plus tard lorsque j’ai pu mettre un nom et un visage sur ces inscriptions et graffitis.
Pour l’archéologue originaire de Naours, qui travaille désormais à Somme Patrimoine, c’est un choc, une révélation. Il décide de se consacrer à l’étude de ces traces.
Suite à cette découverte, le quotidien La Croix titre : « A Naours, la grande guerre a laissé des traces de crayons » , le Courrier Picard parle « d’une brusque remontée dans le temps. A 30 mètres sous terre, la cité de Naours renferme un formidable trésor. Poignantes de simplicité et de fragilité, ces inscriptions ont été léguées par des Anglais, des Australiens, des Ecossais, des Indiens ». Le magazine Géo y consacre un dossier spécial : « Emouvants fantômes de la Grande Guerre : William, Rudolph, Allan ou Stuart sont des gamins… qui ont déjà un siècle. Les prénoms de ces soldats s’étaient perdus dans les limbes de l’Histoire. »
3200 inscriptions répertoriées à Naours et plus de 2000 attribuées à des soldats australiens
Ces soldats, âgés d'une vingtaine d'années, ouvriers, paysans, venus des Etats du Queensland, du Victoria, ont traversé les océans pour participer à l’effort de guerre en Europe. Idem pour les Néo-Zélandais. Pour eux, c’est la Grande Aventure. Ils sont près de 400 000 à s’être engagés d’abord sur le front oriental – les Dardanelles, l’Egypte – puis sur le front occidental, où après avoir traversé toute la France, ils rejoignent l’enfer de la bataille de la Somme en juillet 1916. Bilan total : 50 000 morts et 150 000 blessés. La Première Guerre mondiale est le ciment qui a fondé la nation australienne.
Nous avons enfin pu visiter les fameuses cavernes de Naours, le site est merveilleux. Une division entière pourrait entrer dans ce lieu : hommes, chevaux, armes. Inscription d'un soldat
C’est la grande révélation des fouilles de 2014. Cette commune à l’arrière du front était durant la guerre un lieu de visite touristique pour les soldats au repos.
Depuis 4 ans, Gilles Prilaux mène, avec d’autres archéologues, une véritable enquête judiciaire pour redonner une voix à ses soldats, qui, pour la plupart, perdirent la vie en retournant se battre en première ligne. Derrière son ordinateur, le chercheur reconstitue les parcours, retrouve les photos des disparus, prend contact avec des familles.
J’ai vu des dizaines d’Australiens pleurer devant les graffitis de Naours, y compris des enfants. Une charge émotionnelle à laquelle je ne m’attendais pas. Et c’est pour ça que je n’ai jamais lâché l’affaire.
On en a parlé :
Les ouvrages de Gilles Prilaux :
- L'archéologie de la Grande Guerre, co-écrit avec Yves Desfossés et Alain Jacques, Editions Ouest France/INRAP (2009, réédité en 2016) : la "bible" sur le sujet !
- Graffitis et bas-reliefs de la Grande Guerre. Archives souterraines de combattants, avec les photos de Dominique Bossut. Aux éditions Michalon/ INRAP (2018)
- Violences de guerre, violences de masse. Une approche archéologique, sous la direction de Jean Guilaine et Jacques Sémelin. Aux Editions La Découverte (2016) : le livre rassemble les actes du colloque sur l'archéologie de la violence organisé en octobre 2014 par l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives), et le Musée du Louvre-Lens . Pour écouter la communication de Gilles Prilaux, c'est ici.
Et aussi :
- Les souterrains de Naours, haut-lieu touristique au temps de la grande Guerre, sur le site de l'INRAP
- Sur les traces d'un secret enfoui. enquête sur l'héritage toxique de la Grande Guerre, de Daniel Hubé, Editions Michalon (2016)
- Des informations sur l'archéologie de la Grande Guerre sur le site de la Mission du Centenaire de 14-18
- Un dossier très fourni sur l'archéologie de la Grande Guerre sur le site de l'INRAP
- Et pour en savoir plus sur le contingent australien qui combattit dans la Somme durant la Première Guerre Mondiale : vous pouvez vous rendre sur le site du département de La Somme consacré à 14-18 ; et sur le site du Centre Sir John Monash de Villers-Bretonneux.
Vous avez pu entendre :
- "Budapest", de George Ezra (2014)
- L"a chanson de Craonne", de Mc Donnell Trio (2014)
- "Wiyathul", de Geoffrey Gurrumul Yunupingu (2009)
Les références du générique de l'émission :
"Le Temps est bon" d’Isabelle Pierre remixé par Degiheugi
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