27 mai 1990, Rocé se souvient de la sortie de la première compilation de rap français : Rapattitude

"La dynamique portée par cette musique était immense : graver, tagger, scratcher, bidouiller" : Rocé se souvient de la sortie en France de la première compilation de rap
"La dynamique portée par cette musique était immense : graver, tagger, scratcher, bidouiller" : Rocé se souvient de la sortie en France de la première compilation de rap  ©Getty
"La dynamique portée par cette musique était immense : graver, tagger, scratcher, bidouiller" : Rocé se souvient de la sortie en France de la première compilation de rap ©Getty
"La dynamique portée par cette musique était immense : graver, tagger, scratcher, bidouiller" : Rocé se souvient de la sortie en France de la première compilation de rap ©Getty
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Cette année-là, Rocé, 13 ans, écoute en boucle l’émission Deenastyle sur Radio Nova, la première tribune du jeune rap français, où défilent tous les groupes d’île-de-France comme NTM ou Assassin. Une musique inédite, détonante avec les scansions, le sampling et le scratching. Le jeune ado est scotché.

Avec

Le rap : un mouvement musical venu balayer les quartiers populaires de France 

C'est une vraie passion pour le jeune ado qui vit à Thiais, dans le Val-de-Marne. Chaque semaine, l'oreille collé au poste, il écoute le DJ Dee Nasty, pionnier du mix de rap en France, aux manettes de l’émission de Radio Nova,  Avec ses copains, il enregistre et réécoute les cassettes du show radiophonique. Il passe des nuits blanches à composer ses propres morceaux sur les platines avec ses vinyles, ou encore sur les bancs du collège en sortant une feuille blanche quand l’inspiration lui vient. 

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C’est le côté performance, sportif, de cette nouvelle musique qui me parlait. Avec des figures de style cinématographiques pour décrire son quartier. Une vraie alternative à tout ce qu’on entendait à l’époque. Je voulais ressembler à ces musiciens qui ne se projetaient pas en terme de carrière. Ils étaient dans la débrouille totale, avant que le rap soit récupéré par la politique et le showbiz, avec un côté Andy Warhol : prendre un morceau de musique déjà existant, le répéter à l’infini puis ajouter sa propre création littéraire

La dynamique portée par cette musique était immense : graver, tagger, scratcher, bidouiller. 

On s’appropriait un art, un culture au-delà des hiérarchies imposées par la culture officielle. 

Léon-Gontran Damas et Alfred Panou à l’origine du rap ? 

Les chansons de Rocé ont le souci de la langue et du choix des mots. Des textes ciselés. La poésie dont il se nourrit, est un modèle. Le poète, celui qui n’a rien  à vendre et ne formate pas son art pour plaire. A l’image de Léon-Gontran Damas, poète, écrivain guyanais. Un métis, cofondateur du mouvement de la Négritude avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. En 1937, il publie Pigments, un recueil de poèmes préfacé par Robert Desnos. 

Je le trouve frontal comme le rap. C’était un grand amateur de jazz et ses textes possèdent une grande musicalité.

Le Béninois Alfred Panou, lui, est comédien, poète et musicien. L’un des premiers acteurs noirs en France (chez Jean-Luc Godard notamment). Révolté par le racisme il a créé un spectacle : Black Power. A l'issue d'une des représentations, il rencontre Pierre Barouh, à l’origine de Saravah, premier label indépendant français qui produira Brigitte Fontaine et Areski, et aussi Jacques Higelin. 

C’est en écoutant  la chanson d’Alfred Panou  « Je suis un sauvage » (1970) , considéré comme le premier titre d’un slameur-rappeur africain, que Rocé a l’idée de construire son nouvel album. Il se rend compte que les racines du rap pouvaient être ailleurs qu’aux Etats-Unis. Durant 10 ans, Rocé a recherché et collecté des chansons des luttes francophones, anticolonialistes et ouvrières des années 70.

On en a parlé : 

Le dernier album de Rocé : Par les damné.e.s de la terre. Des voix de lutte : 1969-1988, édité par Hors Cadres. Disponible depuis le 2 novembre 2018 (inclus un CD + un livret très instructif sur les auteurs des textes et chansons) 

Les précédents albums du rappeur : Top Départ (chez Chronowax en 2001) ; Identité en Crescendo (chez No Format, 2006)  ; L'être humain et le Réverbère ( chez Big Cheese Records, 2010) ; Gunz N'Rocé _(_chez Hors Cadres, 2013) 

Les chiens se taisaient, la pièce de théâtre d'Aimé Césaire dont est extrait "mon nom : offensé"

Pour découvrir la vie du père de Rocé

Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire, de Sarah Kaminsky, paru chez Calmann Levy 

A propos du poète guyanais Léon-Gontran Damas

Vous avez pu entendre les titres musicaux suivants : 

  • Habitus, Rocé ( l'album Gunz N'Rocé, chez Hors Cadres, 2013) 
  • Je suis un sauvage, Alfred Panou/Art Ensemble of Chicago (1970) ( à retrouver dans l'album de Rocé : Par les damnées.e.s de la terre)
  • Mo Jodi, Delgres (2018)

Les références du générique de l'émission :

"Le Temps est bon" d’Isabelle Pierre remixé par Degiheugi