Corine Sombrun, écrivaine reconnue comme chamane : "On a perdu cet espace où on n'est plus personne"

Corine Sombrun
Corine Sombrun  - ® C.Manil
Corine Sombrun - ® C.Manil
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Un voyage en Mongolie. Une expérience mystique inattendue. La découverte du chamanisme. Corine Sombrun est écrivaine, ethno-musicologue et reconnue comme "chamane." Elle est une passeuse, une intermédiaire entre le monde des esprits et le monde des vivants, entre le monde de la transe et le monde de la science.

Avec

Corine Sombrun a passé une grande partie de son enfance au Burkina Faso, notamment dans sa capitale Ouagadougou. Une fois retournée en France, elle s'est consacrée à des études de musicologie, et plus particulièrement au piano et à la composition. 

Tandis que la perte d'une compagne a provoqué un deuil long et douloureux deux ans auparavant, elle entreprend un reportage en Mongolie en 2001 qui la mène sur la route des chaman•e•s

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On m'a reconnue en Mongolie comme étant chamane mais que je n'exerce pas en tant que chamane, donc je ne me reconnais pas du tout dans ce terme là.

Au cours d'une cérémonie, au son du tambour et des chants, sa vie bascule : le chaman Balgir la désigne comme chamane, elle-aussi. S'en suivent alors des années d'apprentissage chamanique à la frontière de la Sibérie qui donnent ensuite lieu à des études neurologiques sur le fonctionnement du cerveau en état de transe.  

Voyage en Mongolie
Voyage en Mongolie
- Brigitte Kernel

Respirer la transe

12 octobre 2007 : là, dans cet hôpital et devant le regard de blouses blanches ébahies, Corine Sombrun induit un état de transe. C'est la journée particulière que l'invitée a choisie de déplier : une histoire d'électrocardiogrammes mais aussi de stupéfaction ! 

En effet, Corine Sombrun collabore avec le Professeur et neuropsychiatre Flor-Henry au Canada dont les recherches portent sur les modifications du cerveau lors de la transe, et dont l'équipe s'interroge sur les concordances chamaniques avec certaines pathologies mentales. 

Pendant la transe, on peut entendre des voix, on a accès à des informations, on peut être en contact avec des personnages, donc tout ce qui caractérise finalement les psychotiques […]

Sans le tambour qui a été l'outil de révélation de ses capacités, Corine Sombrun induit un état de transe à partir de sa volonté. Un frémissement du nez. Le tremblement des mains. Des tressaillements. La transe entre dans la danse, et elle reproduit la condition psychique et physique de la chamane sous les observations tantôt ébahies tantôt interloquées des chercheur•euse•s. 

Puis le silence… et la crainte scientifique qu'elle ne reste bloquée à un des états de la transe…

Qu'est-ce que la transe ? 

Les expériences scientifiques résultent des doutes à propos de sa santé mentale, depuis ce voyage mongol de 2001 pour la BBC World au cours duquel elle était chargée d'enregistrer une cérémonie chamanique ; au cours duquel, dit-elle, "le hasard [l']a frappée". 

On a conscience de tout ce qui se passe pendant la transe, simplement il y a un phénomène de dissociation qu'on a aujourd'hui défini comme un phénomène de dissociation non-pathologique, mais tout d'un coup on se voit faire des gestes, des sons qu'on n'a pas décidé de faire […]

Le hasard ? Pas tant que cela, puisque un parent (éloigné ou non), une expérience de mort imminente ou des maladies pourraient être la source de facultés chamaniques chez certains sujets.

Pour Corine Sombrun : probablement une grand-mère guérisseuse et une expérience de la mort dans sa prime enfance suite à un vaccin contre la variole. 

il y a des moments d'extase pendant la transe, de grande beauté

Donc la transe serait une modification du cerveau, le déploiement d'un potentiel cognitif singulier et puissant qui engendre la dissociation : voir et ressentir ; se révéler et se libérer du poids du deuil qui l'accablait jusqu'alors

C'est un grand bonheur de ne plus être égocentrée mais de s'ouvrir sur une dimension tellement plus grande que nous

Mais ce serait également une stratégie de survie face à la violence, qui permet de se dissoudre et de se dilater.

Corine Sombrun au CHU de Liège
Corine Sombrun au CHU de Liège
- Christian Manil

La transe : aller dans un périmètre où il n'y a plus personne

Le cinéma, la littérature, les arts : tout autant d'inspirations et de transes ; de transformations de soi pour se dévoiler.

Et pour faire sortir la transe de ses préjugés, Corine Sombrun a multiplié ces dernières années des collaborations scientifiques, pour expliquer le phénomène psychique et physique, et pour former des pratiquant•e•s à la méthode de la transe cognitive auto-induite bientôt utilisée comme outil thérapeutique. 

Elle a par ailleurs mené des expériences dans le milieu artistique avec des étudiant•e•s des Beaux-Arts de Nantes qui ont testé des boucles de tambours et de musiques pour entrer en transe et déclencher des processus créatifs originaux. 

Marguerite Duras note qu' "Écrire, c'est aller dans ce périmètre où il n'y a plus personne." Être en transe, c'est traverser les frontières de l'esprit et de la société ; c'est se recréer un espace de devenir entre la "pensée sauvage" et la "pensée cultivée" comme l'a analysé Claude Lévi-Strauss.

Quelques ouvrages de Corine Sombrun

  • Journal d’une apprentie chamane, Pocket, mars 2002.
  • Mon initiation chez les chamanes, Albin Michel, janvier 2004.
  • Les Tribulations d’une chamane à Paris, Albin Michel, avril 2007.
  • Sur les pas de Geronimo, Albin Michel, mai 2008.
  • Les Esprits de la steppe, Albin Michel, octobre 2012.
  • Sauver la planète, le message d'un chef indien d'Amazonie, Albin Michel, mars 2015.

Les références

Le site de TranceScience Research Institute

Fabienne Berthaud, Un monde plus grand, 2020.

Brian De Palma,  Furie [The Fury], 1978.

Marguerite Duras, Écrire, Paris, éd. Gallimard, 1993 : "Ça rend sauvage l'écriture. On rejoint une sauvagerie d'avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c'est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même."

Victor Hugo, "Ce que dit la bouche d'ombre", Les Contemplations, 1856 : 

Me prit par les cheveux dans sa main qui grandit,
M’emporta sur le haut du rocher, et me dit :

Sache que tout connaît sa loi, son but, sa route ;
Que, de l’astre au ciron, l’immensité s’écoute ;
Que tout a conscience en la création ;
Et l’oreille pourrait avoir sa vision,
Car les choses et l’être ont un grand dialogue.
Tout parle, l’air qui passe et l’alcyon qui vogue,
Le brin d’herbe, la fleur, le germe, l’élément.
T’imaginais-tu donc l’univers autrement ?
Crois-tu que Dieu, par qui la forme sort du nombre,
Aurait fait à jamais sonner la forêt sombre,
L’orage, le torrent roulant de noirs limons,
Le rocher dans les flots, la bête dans les monts,
La mouche, le buisson, la ronce où croît la mûre,
Et qu’il n’aurait rien mis dans l’éternel murmure ?
Crois-tu que l’eau du fleuve et les arbres des bois,
S’ils n’avaient rien à dire, élèveraient la voix ?
Prends-tu le vent des mers pour un joueur de flûte ?
Crois-tu que l’océan, qui se gonfle et qui lutte,
Serait content d’ouvrir sa gueule jour et nuit
Pour souffler dans le vide une vapeur de bruit,

Et qu’il voudrait rugir, sous l’ouragan qui vole,
Si son rugissement n’était une parole ?
Crois-tu que le tombeau, d’herbe et de nuit vêtu,
Ne soit rien qu’un silence ? et te figures-tu
Que la création profonde, qui compose
Sa rumeur des frissons du lys et de la rose,
De la foudre, des flots, des souffles du ciel bleu,
Ne sait ce qu’elle dit quand elle parle à Dieu ?
Crois-tu qu’elle ne soit qu’une langue épaissie ?
Crois-tu que la nature énorme balbutie,
Et que Dieu se serait, dans son immensité,
Donné pour tout plaisir, pendant l’éternité,
D’entendre bégayer une sourde-muette ?
Non, l’abîme est un prêtre et l’ombre est un poëte ;
Non, tout est une voix et tout est un parfum ;
Tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un ;
Une pensée emplit le tumulte superbe.
Dieu n’a pas fait un bruit sans y mêler le verbe.
Tout, comme toi, gémit ou chante comme moi ;
Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi
Tout parle ? Écoute bien. C’est que vents, ondes, flammes
Arbres, roseaux, rochers, tout vit !

La programmation musicale du jour

  • David Bowie, "I'm Deranged", 1995.
  • Igor Stravinski, "Le Sacre du printemps" - première partie, 1910-1913, dirigé par Valery Gergiev.
  • Valerie June [feat. Carla Thomas], "Call me a fool", 2021.

Le générique de l'émission

  • Isabelle Pierre, "Le temps est bon" (1971), remixé par Degiheugi, 2012.

L'équipe