

Auteur en 2014 de "Tram 83", un premier roman très remarqué, l'écrivain congolais Fiston Mwanza Mujila revient avec "La Danse du Vilain". Pour "Une journée particulière", il se souvient de la chute du dictateur zaïrois Mobutu et questionne les mythologies fondatrices de ses deux pays d'origine : Zaïre et RD Congo.
- Fiston Mwanza Mujila écrivain
Fiston Mwanza Mujila est congolais, poète, dramaturge et romancier. Il a 16 ans en 1997 quand tombe le régime du Président Mobutu. C'est ce 17 mai 1997, jour où le Zaïre devient République démocratique du Congo qu'il a choisi comme « Journée particulière ». L'écrivain se souvient de la joie, de l'euphorie, qui a accompagné, à Lubumbashi, ville où il a grandi, la chute du dictateur.
Je suis né dans une dictature. On a vécu cela de près. Tout le monde attendait le départ de Monsieur Mobutu. C'était une grande joie, une euphorie. Je me rappelle les accolades, la bière qui coulait. C'était une libération.
Publicité
L'auteur de La Danse du Vilain, roman paru en cette rentrée littéraire 2020 et figurant sur la liste des nommés pour le prestigieux prix Wepler, raconte la culture de l'amnésie qui pèse sur cette histoire et le sentiment étrange d'avoir basculé, du jour au lendemain, d'un pays à un autre, totalement différents l'un de l'autre.
Le Zaïre et le Congo sont deux pays différents avec la même population. Nous étions des Zaïrois et, du jour au lendemain, d'une minute à une autre, d'une seconde à une autre, on est devenus des Congolais.
Un être paradoxal
Pour autant, Fiston Mwanza Mujila ne parvient pas à être catégorique au sujet de l'ancien dictateur Mobutu. S'il sait qu'il est responsable de la ruine du Congo-Kinshasa, il lui reconnaîtrait presque quelques qualités.
Mobutu doit être un être paradoxal. Il nous a donné, d'une manière ou d'une autre, cette fierté d'être congolais. C'était quelqu'un qui avait du charisme, qui cherchait à tout prix à faire respecter ce pays-là.
S'il a choisi le jour de la chute de Mobutu comme « Journée particulière », c'est parce que Fiston Mwanza Mujila, en admirateur de Roland Barthes, questionne dans son œuvre les mythologies du Congo. Parmi elles, on trouve évidemment la rumba congolaise, que l'on écoutait du matin au soir dans le bar de son grand-père et dont Papa Wemba est l'un des piliers.
Je suis petit-fils de barman et j'en suis fier. [...] Mon grand-père était un magnifique barman parce que, pour lui, c'était pas seulement un bar, c'était une assemblée. [...] C'était comme une église.
Parmi les autres mythes congolais auquel s'intéresse le poète et auquel il consacre une page de son dernier roman, La Danse du Vilain, on trouve, tout en complexité et en ambivalence, le fleuve Congo.
La plupart des Congolais dit que l'on a un fleuve extraordinaire, immense. Moi, je questionne ce mythe-là parce que, pour moi, le fleuve Congo, ce n'est pas seulement la splendeur, mais c'est aussi un gâchis : ce fleuve-là ne se jette pas dans l'océan, selon moi, c'est un fleuve qui se défenestre, qui se suicide dans l'océan. C'est un fleuve au chômage, on ne comptabilise pas avec lui. C'est un fleuve inutile, on n'en profite pas assez.
Malaxer la langue
« J'écris comme un compositeur », dit-il. Fiston Mwanza Mujila explique qu'il utilise la langue comme un instrument de musique. Son rapport à l'écriture est dense et complexe, passe par l'oralité, la musicalité des mots. Il malaxe la langue, la triture dans tous les sens, pour parvenir à coucher ses mots sur le papier. D'abord à des fins utilitaires car Fiston Mwanza Mujila habite aujourd'hui en Autriche et a donc besoin d'écrire le français pour « garder la langue au chaud », ne pas l'oublier. Mais aussi parce que c'est ainsi qu'il s'approprie la langue française pour « créer [sa] propre généalogie ». Et en effet, l'écrivain congolais (originaire du Congo-Brazzaville) Alain Mabanckou, qu'il considère comme « un grand-frère », écrit à propos de lui : « « Arrive un petit bonhomme de la rue, qui porte des haillons et parle avec cette force à défier toute la littérature. On a l’impression que c’est écrit en français, mais, en réalité, tout est écrit dans sa langue. Il n’y a que les mots qui sont mis en français. » Et Fiston Mwanza Mujila ajoute :
J'essaie de créer une nouvelle langue, [...] une langue qui, comme le fleuve, charrie les influences, charrie le peuple, les imaginaires... Pour moi, écrire, c'est, à partir de la langue, créer une forme de cosmopolitisme intérieur.
Bibliographie
- Fiston Mwanza Mujila, La Danse du Vilain, Métailié, 2020
- Fiston Mwanza Mujila, Tram 83, Métailié, 2014
- Alain Mabanckou, Le monde est mon langage, Grasset, 2016
- In Koli Jean Bofane, La Belle de Casa, Actes Sud, 2018
- Marc Alyn, Srečko Kosovel, Seghers (coll. Poètes d'aujourd'hui), 1965
Anne-Marie Métailié présente La Danse du Vilain
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
La programmation musicale du jour
- Franco, "Non"
- John Coltrane, "Naima"
- Bongeziwe Mabandla, "Zange"
Et des extraits de
- Papa Wemba, "Kaokokokorobo"
- Hibari Misora, "Kanashii Sake"
- Wes, "Alane"
Le générique de l'émission
Isabelle Pierre, "Le temps est bon" (1971), remixé par Degiheugi, 2012
L'équipe
- Production
- Autre
- Collaboration
- Autre
- Autre
- Autre