Monique Chemillier-Gendreau : « Dès lors que l'on approche l'Autre, les barrières de la xénophobie tombent »

La "Journée particulière" de Monique Chemillier-Gendreau a lieu en 1946, année au cours de laquelle l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies se réunissent pour la première fois
La "Journée particulière" de Monique Chemillier-Gendreau a lieu en 1946, année au cours de laquelle l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies se réunissent pour la première fois ©Getty - David E. Scherman / The LIFE Picture Collection
La "Journée particulière" de Monique Chemillier-Gendreau a lieu en 1946, année au cours de laquelle l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies se réunissent pour la première fois ©Getty - David E. Scherman / The LIFE Picture Collection
La "Journée particulière" de Monique Chemillier-Gendreau a lieu en 1946, année au cours de laquelle l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies se réunissent pour la première fois ©Getty - David E. Scherman / The LIFE Picture Collection
Publicité

Juriste et spécialiste du droit international, Monique Chemillier-Gendreau défend dans 'Régression de la démocratie et déchaînement de la violence', l'idée selon laquelle la souveraineté, puisqu'elle est accordée aux États, dévoie le concept de droit international. Et favorise la violence contre les peuples.

Pour Monique Chemillier-Gendreau, 84 ans en 2019, grande spécialiste du droit international, choisir une « journée particulière » ne fut pas chose aisée. Quel point de départ préférer, plutôt qu'un autre, pour initier le récit d'une vie et dérouler le fil d'une pensée riche, foisonnante et complexe ? Car Monique Chemillier-Gendreau est depuis toujours sur tous les fronts, de tous les combats, en particulier lorsqu'il s'agit de défendre les peuples, leurs droits fondamentaux et leurs libertés individuelles. La professeure émérite de droit public et de sciences politiques, spécialiste de la théorie de l'État, considère en effet qu'enseigner le droit, que l'on peut considérer comme le prolongement, sinon le bras armé, de la politique, ne dispense ni d'exercer sa pensée critique ni de militer.

On ne peut pas étudier le droit, le disséquer, le décortiquer, sans se demander s'il est bon ou non pour une société, s'il réalise ou non son objectif final, qui est la justice.

Publicité

Août 1946 : l'ONU, Madagascar et une petite fille sous le soleil de Djibouti

Celle qui plaide régulièrement devant la Cour internationale de justice de l'ONU à La Haye a finalement retenu un jour d'août 1946, au cours duquel, petite fille de onze ans, elle monte à bord d'un bateau militaire, fraîchement reconverti pour le transports de passagers civils, et quitte Madagascar, où elle est née, pour rejoindre la métropole libérée. De cette traversée d'un mois, à travers l'océan Indien, la mer Rouge, le canal de Suez et la Méditerranée, Monique Chemillier-Gendreau se souvient d'une escale à Djibouti, sous un soleil écrasant, d'un palmier de zinc et de longues heures à guetter l'horizon pour apercevoir une escadrille de poissons volants ou le bal de quelques dauphins. Elle se remémore également que c'est de ce voyage et, plus généralement, de son enfance à Madagascar que lui vient le goût du multiple, de la diversité et de la fraternité, aujourd'hui au cœur de son travail intellectuel et de sa pensée. Elle rejoint en ce sens les travaux du poète et penseur Édouard Glissant sur le "Tout-Monde".

Entre les dangers d'une mondialisation qui uniformiserait tout et la vérité du "Tout-Monde", dans sa diversité, dans l'enrichissement de l'échange dans lequel on ne se perd pas et où l'on rencontre l'Autre, Glissant nous dit la vérité des choses.

Le sentiment de révolte contre l'injustice l'anime par ailleurs depuis cette enfance, marquée qu'elle est par les privilèges que son statut de petite Blanche lui confère et dont ne peuvent pas jouir ses petit·e·s camarades noir·e·s. 

Mettre fin à la souveraineté des États

En conséquence, Monique Chemillier-Gendreau insiste aujourd'hui sur la relativité des identités nationales, des frontières, des états. Pour elle, l'identité humaine est première et primordiale et les identités nationales, en raison de la façon aléatoire, hasardeuse, voire arbitraire, dont les états se sont construits et définis, devraient passer au second plan. Il en va de la garantie de la démocratie.

La démocratie, c'est la prise en compte du multiple, de la pluralité d'une société dans sa diversité. C'est pourquoi les démocraties qui prétendent se fonder sur une société homogène ne peuvent pas être des démocraties. C'est incompatible.

Selon elle, la théorie de la souveraineté de l'État, qui confère la souveraineté à une communauté politique (en l'occurrence à l'État) plutôt qu'à une autre (d'échelle inférieure, comme la commune ou la région, ou d'échelle supérieure, comme le continent ou la planète) est incompatible avec l'idée même de démocratie. Il faut, comme elle le développe dans son dernier livre Régression de la démocratie et déchaînement de la violence (Conversations avec Régis Meyran, Textuel, 2019), repenser notre appartenance à chacune de ces communautés politiques, en gardant comme priorité, à chaque échelle, la démocratie, afin de redistribuer les cartes et d'ôter le privilège de la souveraineté aux seuls états.

La souveraineté réduit la diversité des êtres ou des groupes qui composent une communauté politique au "Un" de l'État. On exige des peuples qu'ils se retrouvent dans ce "Un" qui s'exprime par le chef de l'État ou le groupe qui est au pouvoir.

Aujourd'hui, Monique Chemillier-Gendreau plaide pour plus de diversité, plus de fraternité, plus de démocratie. Une exigence qui va de pair avec une meilleure connaissance de l'Autre. Dès lors que l'on approche l'Autre, en effet, les barrières de la xénophobie et du racisme tombent. Mais là, encore, la souveraineté crée un raidissement des états qui va à l'encontre de la nécessité des solidarités et des interdépendances. Comment alors, penser le droit et la coopération internationaux si les institutions internationales ne le permettent pas ? Elle pointe les verrous et les dysfonctionnements au sein de ces institutions (l'Organisation des Nations unies, notamment) qui signent l'échec du droit international et de la possibilité de la paix mondiale.

L'ONU est une organisation aristocratique, pas démocratique.

Les références des livres de Monique Chemillier-Gendreau

Pour aller plus loin

Quel droit international dans un monde globalisé ? - Conférence de Monique Chemillier-Gendreau

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

La programmation musicale du jour

  • Bourvil, "Pour sûr", 1946
  • PJ Harvey & Ramy Essam, "The Camp", 2017
  • Tinariwen (feat. Cass McCombs), "Kel Tinawen", 2019

Le générique de l'émission

Isabelle Pierre, "Le temps est bon" (1971), remixé par Degiheugi, 2012

L'invitée

Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public et de sciences politiques, spécialiste du droit international

L'équipe