Suzanne Privat s'est lancée pendant près de deux ans sur une enquête qui s'est déroulée dans son propre quartier. C'est en effet là que vit, depuis 1892, une communauté de 3000 personnes appartenant à huit familles seulement. Ils vivent dans l'Est parisien et tout le monde les connaît sans les connaître vraiment.
- Suzanne Privat Journaliste
Suzanne Privat est journaliste scientifique, mais il est sans doute plus juste, plus important, à dire pour la présenter : Suzanne Privat est curieuse, très curieuse. Quand sa curiosité se réveille, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Elle devient dévorante et ses mots préférés deviennent « pourquoi, comment, qui, jusqu'à quand ? ». C’est sa curiosité qui a poussé Suzanne Privat à enquêter sur une communauté très secrète et discrète qui habite dans son quartier de l'Est parisien. C'est sa curiosité qui l'a entraînée dans une véritable aventure, qu'elle raconte dans un livre formidable intitulé La Famille - Itinéraires d'un secret, paru aux éditions Les Avrils.
Les enfants de la photo de classe
Suzanne Privat a choisi comme « journée particulière », le jour du mois d'octobre 2014 au cours duquel elle recevait la photo de classe de sa fille, tout juste entrée en classe de cinquième. La journaliste a toujours aimé regarder les photos de classe, pour ce qu’elles dévoilent des enfants , de la façon dont ils changent, grandissent, s’habillent. Elle se demande chaque année ce que cela dit et quelle genre de vie ils peuvent mener. Mais ce jour d'octobre 2014, alors que sa fille lui donne des détails sur les élèves de sa classe, Suzanne Privat prend conscience que de nombreux enfants sont cousins et cousines et qu'ils se partagent un nombre restreint de noms de famille. L'année suivante, elle découvre que c'est la même chose, avec les mêmes noms de famille. Quelques années plus tard, alors que c'est son fils qui fait son entrée au collège, le ver est franchement dans la pomme, la curiosité dévorante réveillée.
Pour afficher ce contenu Instagram, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Mon fils me dit alors « Qui ne les connaît pas ? Tout le monde les connaît dans mon collège. » Il me soutenait que c'était une grande famille, qu'ils étaient tous cousins et qu'ils ne traînaient qu'entre eux.
Mêmes noms de famille, beaucoup de frères et sœurs, beaucoup de cousins et cousines, des vêtements qui s'échangent d'année en année, des ressemblances physiques... et des rumeurs de quartier ! Tout cela dans une poignée de rues de l'Est parisien. Suzanne Privat a voulu en savoir plus et c’est comme cela que tout a commencé.
Le kibboutz de Pardailhan
Elle a commencé par faire des recherches sur Internet, en saisissant les noms de famille dans un moteur de recherche. C'est là qu'elle découvre un épisode de Cinq colonnes à la une, datant du 3 février 1961 et intitulé "Un kibboutz en France". On y voit des femmes en foulard et des hommes au champ ayant décidé de mener une vie communautaire. Ils disent d’une même voix vouloir, en tant que Parisiens d'origine, faire revivre l’un des 350 villages abandonnés que compte la France à l’époque. Ils sont 90. Dans le film, ils expliquent comment ils ont vendu mobilier, logement et entreprise, pour mettre leur patrimoine en commun afin de créer le kibboutz. Mais la référence au kibboutz n’est pas explicitée. On voit bien qu’ils sont religieux, mais le film ne s’intéresse pas au caractère religieux du groupe. On ne sait pas bien qui ils sont, ni pourquoi ils font cela.
J'ai trouvé que c'était un formidable voyage dans le temps. J'ai vu des gens très fiers de ce qu'ils faisaient. J'ai vu aussi un chef : le Vincent Thibout auquel il est fait allusion et qui était très imbus de sa position de chef. J'ai vu des gens qui croyaient en des choses qu'ils ne nommaient pas et une incroyable ferveur.
C'est dans une émission de radio que Suzanne Privat fera sa découverte suivante. Dans le deuxième volet d'une « Histoire du village » qui en comptera quatre, en 2012, dans La Fabrique de l'histoire, sur France Culture. Le documentaire, intitulé Le mystérieux kibboutz de Pardailhan donne la parole, des années plus tard, à celles et ceux, du village, qui ont connu dans les années 1960, cette communauté dont l'expérience sur place n'aura duré que deux ans. On y entend un villageois préciser que cette communauté était issue des "Flagellants de Saint-Médard". Le terme approprié était en fait celui des "Convulsionnaires de Saint-Médard". Suzanne Privat s'est donc renseignée sur cette communauté de jansénistes tardifs et a tenté de comprendre ce qui la liait à "La Famille" qui habite son quartier.
Ces huit familles ne constituent qu'une seule famille, que l'on appelle La Famille.
Mon Oncle Auguste
La réponse lui a été en partie apportée, une fois encore, dans La Fabrique de l'histoire, sur France Culture, qui a consacré un documentaire aux réactions provoquées par l'épisode de 2012, chez des anciens membres de "La Famille". L'épisode, intitulé Du mystérieux kibboutz de Pardailhan à la communauté parisienne a donné à Suzanne Privat l'occasion d'en savoir plus sur ses curieux voisins et de rentrer en contact avec l'un d'eux, qui était parvenu à quitter sa communauté.
Il part en courant à 16 ans, parce qu'il réalise que le milieu dans lequel il a grandi n'est pas propice à l'épanouissement d'une individualité, qu'il a été contraint à une religion qui ne le concerne pas forcément et, surtout, qu'on l'a privé de sa liberté de penser et que le groupe l'étouffait.
C'est ce contact qui donne à Suzanne Privat beaucoup d'informations sur La Famille et sur son fonctionnement. Sur les règles plus ou moins arbitraires qui la régissent depuis 1892, à l'initiative d'un personnage surnommé Mon Oncle Auguste. Parmi celles-ci, la plus signifiante reste celle de l'endogamie stricte : depuis 1892, La Famille est un groupe fermé autour de huit familles ; on ne peut donc se marier et faire des enfants, depuis 1892, qu'au sein de La Famille.
Il a fixé tout une liste d'interdits. Je pense qu'il s'est prophétisé lui-même et il a décidé de tout un tas de règles de vie que La Famille suit encore plus ou moins. [...] Il reste l'interdiction de fréquenter le monde.
Pour afficher ce contenu Instagram, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Pour aller plus loin
- Le livre de Suzanne Privat, La Famille - Itinéraires d'un secret, a paru aux éditions Les Avrils.
- Découvrir le compte Instagram de Suzanne Privat
La programmation musicale du jour
- Bob Azzam, "C'est écrit dans le ciel", 1960
- The Beach Boys, "God Only Knows", 1966
- Piers Faccini avec Ben Harper et Abdelkebir Merchane, "Kora", 2021 [ Dans la playlist de France Inter]
- Et un extrait de : Les Prêtres, "Amen", 2004
Le générique de l'émission
Isabelle Pierre, "Le temps est bon" (1971), remixé par Degiheugi, 2012
L'équipe
- Production
- Autre
- Autre
- Autre
- Autre