
C'est une histoire tragique, entendue à la radio, qui lui a donné le souffle qui lui manquait. Avec "René·e aux bois dormants", premier roman graphique merveilleux et magnifique, Elene Usdin met en couleurs onirisme et animisme des forêts du Canada.
Elene Usdin (Photographe, illustratrice, artiste protéiforme).
Elene Usdin est ce que l'on a coutume d'appeler une "artiste protéiforme". Photographe, dessinatrice, illustratrice, peintre et plasticienne, elle a publié à la rentrée dernière son premier roman graphique aux éditions Sarbacane : René·e aux bois dormants est une odyssée onirique envoûtante, qui connaît un succès critique et public. L'ouvrage a reçu le Grand Prix de la critique ACBD 2022 et le Prix de la Révélation graphique remis par l'association Artemisia. Alors que des planches originales de René·e aux bois dormants sont exposées jusqu'au 19 février à la Galerie Barbier, à Paris, Zoé Varier reçoit Elene Usdin pour évoquer avec elle son œuvre, ses rêves, ses influences et la « Journée particulière » qui a permis tout cela.
Comme à la radio
C'est une histoire entendue à la radio qui marque la « Journée particulière » d'Elene Usdin. Une histoire tragique et méconnue en Europe. Celle de la rafle organisée, entre les années 1960 et les années 1980, de milliers d'enfants des Premières Nations du Canada, enlevé·es à leur famille pour être placé·es en institution ou dans des familles blanches. Le 6 octobre 2017, Elene Usdin est au Canada pour un long voyage dans le nord de l'Amérique, lorsqu'elle apprend l'existence de ce pan de l'histoire du pays, à l'occasion de l'annonce d'une mesure de dédommagement, pour les familles autochtones, par les autorités fédérales. La photographe est bouleversée, meurtrie, par le récit de la vie brisée de ces milliers d'enfants. Maltraité·es, lavé·es à l'eau de javel pour blanchir leur peau, interdit·es de parler leur langue, ils et elles ont souffert, et souffrent encore aujourd'hui, de graves problèmes psychologiques.
En 2017, lorsqu'elle entend cette histoire, Elene Usdin a dans la tête depuis quelques années l'envie d'écrire et de dessiner un conte écologiste. Ce qu'elle apprend à la radio devient rapidement la brique qui manquait à son histoire, portée par le souffle de l'animisme des Premières Nations canadiennes. L'histoire d'un homme plongé dans le coma dont on apprend l’histoire grâce à ses rêves et les esprits qui y habitent. C'est la trame de René·e aux bois dormants, l’histoire d’un petit garçon qui habite une grande ville et qui, à l’image d’Alice aux pays des merveilles, passe de l’autre côté du miroir quand il part à la recherche sa peluche, un lapin nommé Lapin Sucre Doux.

Bienvenue au pays des rêves
Le lapin est son seul ami, le seul auquel il peut se confier. Ostracisé par les autres enfants, René ne comprend pas le monde qui l’entoure, où il est, toujours dans ses rêves ou dans un monde imaginaire. C’est l’histoire de quelqu’un qui ne connaît pas sa place et qui, pour la trouver, va devoir se confronter aux créatures qui peuplent son imaginaire, se transformer, se réinventer. Les créatures en question sont inspirées des propres rêves d'Elene Usdin, qui ont une place extrêmement importante dans sa vie. Comme le faisait Fellini, une influence majeure pour elle, l'artiste les écrit, les dessine.
Ce qui lui plaît et qu'elle retranscrit dans l'odyssée onirique de René, à la manière de David Lynch dans Mulholland Drive, qu'elle cite aussi parmi ses références, c'est ce moment où l'on ne peut plus distinguer les frontières entre le rêve et la réalité, entre la réalité et la fiction. Et quoi de mieux que la bande dessinée pour se permettre cette liberté ? Pour Elene Usdin, la BD permet de raconter toutes sortes d’histoires incroyables, un défi passionnant, aussi bien intellectuellement qu'artistiquement !
Pour aller plus loin
🌐 Visiter le site d'Elene Usdin
📕 Le premier roman graphique d'Elene Usdin, René·e aux bois dormants, a paru aux éditions Sarbacane.

Les références des extraits et archives Ina diffusés dans l'émission
- "On nous a emmené·es au pensionnat", extrait de l'épisode "Les Enfants de la honte", de l'émission Voyage en terre indigène, France Inter, 2018
- Analyse d'un rêve de Federico Fellini par Ornella Volta dans l'émission Mi-fugue, mi raisin, France Culture, 1975
- Lecture, par Francis Ponge, de son poème "Le Cycle des saisons", tiré du recueil Le Parti pris des choses, dans l'émission Tous les plaisirs du jour sont dans la matinée, RTF, 1962
- "Silencio !", extrait du film Mulholland Drive de David Lynch, 2001
- Manifestation d'étudiants contre la loi Devaquet, extrait du journal télévisé, France 3 Paris, 4 décembre 1986
- Extrait du film Le Mystère Picasso d'Henri-Georges Clouzot, 1955
- Lecture par Fernando Arrabal du texte Panique et poulet rôti d'Alejandro Jodorowsky, extrait de l'émission Poésie ininterrompue, France Culture, 1978
La programmation musicale du jour
- The Beach Boys, "Wind Chimes", 1967
- Nino Rota, "Saraghina, la Rumba !", extrait du film Huit et demi de Federico Fellini (1963)
Le générique de l'émission
Isabelle Pierre, "Le temps est bon" (1971), remixé par Degiheugi, 2012

L'équipe

