La nature est en danger. Pour protéger les écosystèmes, certain·e·s penseurs et penseuses, artistes ou juristes, veulent leur donner un statut juridique. Camille de Toledo est l'un d'eux. Il veut faire entendre la voix, les voix, de la Loire.
- Camille de Toledo écrivain
Camille de Toledo est écrivain, docteur en littérature comparée et traducteur. Mais Camille de Toledo est un traducteur singulier, il cherche à faire entendre la voix, les voix, de la Loire et participe à un mouvement qu'il appelle le "soulèvement légal de la Terre".
Ne plus voir les éléments comme des choses
Camille de Toledo a choisi comme « Journée particulière » un jour du printemps 2019. La scène se passe en Suisse, dans le canton de Vaud, non loin de Lausanne. L'auteur est en résidence d'écriture sur le thème du nature writing, l'écriture de la nature, pour réfléchir à la question du devenir sujet des grands écosystèmes de la planète : rivières, montagnes, lacs, etc. Camille de Toledo part se promener dans la forêt. Plus haut, il y a une clairière d’où l’on voit le lac Léman, le Mont Blanc, la chaîne des Alpes et, bien sûr, Genève, où est enterrée sa grand-mère.
Là-haut, l'écrivain pense à son travail en cours et essaie de l’incarner : il commence à voir cette forêt, les montagnes et le lac comme des personnes ; il tente d'arrêter de voir ces éléments naturels comme des choses.
À quoi ressemble le monde si les milieux, les lacs, les rivières, les forêts deviennent des sujets au lieu d'être des choses, des objets ?
L'expérience n'est pas évidente et celui qui est également traducteur se rend compte qu'il va devoir traduire, que son projet est en effet de donner une voix à ces milieux qui n'en ont pas et qu'ainsi, il consiste simplement à faire ce que tous les Homo Sapiens font, depuis l'aube de l'humanité : faire parler et traduire les différentes événements naturels de la planète. L'humain n'a en effet eu de cesse d’associer des histoires, des mythes, à cette histoire du monde.
Contrairement à ce qu'il est courant de penser dans la civilisation occidentale moderne, l'humain et la nature ne sont pas séparés. Serions-nous animistes ? Pour Camille de Toledo, comme dit le philosophe des sciences Bruno Latour : « C’est "l’inanimisme" de nos sociétés qui est la surprise, pas l’animisme. Il faut réanimer ce qui a été désanimé. »
Tout ce qui m'apparaissait dans cette journée, c'était cette très grande liaison, ces grands attachements : le sentiment d'être traversé par la montagne, d'être une part de cette montagne, que la forêt, ses branchages et ses rhizomes racinaires étaient dans mes poumons.
La jurisprudence Whanganui
Le projet d'écriture auquel réfléchit alors Camille de Toledo porte le nom d'Un monde Whanganui. Whanganui, c’est le nom de la rivière de Nouvelle-Zélande qui a obtenu en 2017 une identité juridique. La reconnaissance de ce cours d'eau comme un sujet de droit s’est appuyée sur le mode de pensée, sur la représentation du monde, des Maoris. Mais cette rivière n'est pas la seule : le Gange, en Inde, le fleuve Atrato, en Colombie, ont également obtenu un statut juridique dans leur pays respectif. La juriste Valérie Cabanes comptabilisait, en 2019, 32 procès menés au nom d'intérêts de la nature, dont 25 avaient été remportés : une mangrove a gagné face à une exploitation industrielle de crevettes, une espèce de requins a gagné face à un bateau (le juge ayant même considéré l'activité de pêche comme une activité criminelle), une rivière a gagné contre une route, etc.
Camille de Toledo donne à ce mouvement mondial le nom de "Soulèvement légal de la Terre". Ce sillon, il a voulu le creuser en France et, en octobre 2019, il a été à l’initiative des Auditions du Parlement de Loire. Une expérience collective d'une durée d'un an et demi au cours de laquelle des scientifiques, archéologues, anthropologues, des philosophes, chercheurs et chercheuses, des artistes, des juristes, ont réfléchi aux conditions dans lesquelles les êtres de nature et, en particulier, La Loire pourraient accéder à la personnalité juridique.
Comment écrire les lois à venir pour que l'on se rapporte autrement au monde ?
Pour aller plus loin
Les auditions du Parlement de Loire, mises en récit par Camille de Toledo, ont paru dans un ouvrage intitulé Le Fleuve qui voulait écrire - Les Auditions du Parlement de Loire, paru en coédition Les Liens qui Libèrent / Manuella.
De nombreuses ressources liées au projet Parlement de Loire sont disponibles sur le site du POLAU - Pôle Arts & Urbanisme.
Le documentaire CLIMAT - Le Théâtre des négociations de David Bornstein, produit par Nora Philippe (Les Films de l'Air) raconte l'expérience théâtrale, politique, diplomatique, scientifique, pédagogique et artistique qui, durant trois jours en 2015 a rassemblé 200 étudiant·e·s venu·e·s du monde entier pour participer, en public au Théâtre Nanterre Amandiers, à la simulation d'une Conférence internationale sur le climat.
Les références des extraits et archives Ina diffusés dans l'émission
- "Nouvelle Zélande : le fleuve sacré des Maoris", reportage de Sandy Dauphin dans le Journal de 19 heures de France Inter, 2017
- "La nature face à la justice", exemples dans le monde d'écosystèmes protégés par le droit, Valérie Cabanes, juriste en droit international, dans La Terre au Carré de Mathieu Vidard, France Inter, 2019
- "Les auditions du Parlement de Loire", extrait des répétitions de la restitution sous forme de performance des quelques jours d'auditions du Parlement de Loire, enregistrées par la journaliste Catherine Pétillon dans le cadre du Reportage de la rédaction de France Culture, 2021
- "Maîtres et possesseurs de la nature ?", second extrait de l'interview de Valérie Cabanes dans La Terre au Carré de Mathieu Vidard, France Inter, 2019
- Deux extraits d'ambiances de Loire et de ses habitants, enregistrées par l'audionaturaliste Boris Jollivet pour la restitution sous forme de performance des quelques jours d'auditions du Parlement de Loire, enregistrées par la journaliste Catherine Pétillon dans le cadre du Reportage de la rédaction de France Culture
- Michel Serres à propos de son livre Le Contrat naturel, paru en 1990, extrait de l'émission Radio libre d'Ali Baddou, France Culture, 2009
La programmation musicale du jour
- Chant traditionnel shamanique amazonien, "Peru Amazon Ayahuasca Shamanic Song", Traditional Music Channel
- Dominique A, "La Loire", 2018
- Leonard Cohen, "Who by Fire", 1974
Le générique de l'émission
Isabelle Pierre, "Le temps est bon" (1971), remixé par Degiheugi, 2012
L'équipe
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- Réalisation
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- Gilles GaillardCollaboration