"Quand Monsieur part, rappelez-nous" : à Lens, des policiers épaulent les victimes de violences conjugales

La capitaine Caroline Canivez est à la tête de la Brigade de Protection des Familles de Lens
La capitaine Caroline Canivez est à la tête de la Brigade de Protection des Familles de Lens   ©Radio France - Ariane Griessel
La capitaine Caroline Canivez est à la tête de la Brigade de Protection des Familles de Lens ©Radio France - Ariane Griessel
La capitaine Caroline Canivez est à la tête de la Brigade de Protection des Familles de Lens ©Radio France - Ariane Griessel
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Au commissariat de Lens, une cellule a été créée il y a deux ans pour suivre les victimes de conjoints violents, même si elles n'osent pas déposer plainte dans un premier temps. Rencontre avec les policiers de la Brigade de protection de la famille.

Parfois, c'est un enfant qui appelle "Police secours" ou qui pousse la porte du commissariat. Claire, gardien de la paix, se souvient de la visite de Damien, un adolescent venu déposer plainte après avoir été victime de violences de la part de son père. Sa mère, Amandine, l'accompagne, mais ne dit rien. Pourtant, elle subit elle-même les coups de son conjoint. La trentenaire est alors enceinte d'un quatrième enfant, dans un couple où la violence est montée crescendo, "je ne me suis pas vraiment rendue compte, et après, avec l'alcool, ça s'est intensifié". 

Ce jour-là, Claire se heurte au déni de la mère de famille: "Je lui dis 'je pense que vous êtes victime de violences ?' Elle me dit 'non'." Amandine le reconnait aujourd'hui, "psychologiquement, je n'étais pas prête". Mais le contact est noué : un mois et demi plus tard, la jeune femme se présente au commissariat et fait demander la policière. Elle veut, dit-elle, déposer plainte.

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Claire ne s'est pas retrouvée au sein de cette "unité de protection sociale" complètement par hasard. Elle-même se souvient des violences dont elle était témoin à la maison, enfant, et d'avoir un jour dit à sa mère: "si tu ne pars pas, je fugue". Aujourd'hui, elle a compris qu'il faut souvent faire un long chemin pour s'extirper d'un huis-clos mortifère: 

J'aide les dames, ou les messieurs, victimes de violences conjugales, à essayer de les amener vers le dépôt de plainte si elles le souhaitent, et à se sortir de cet enfer.

Depuis, le conjoint d’Amandine a été condamné à six mois de prison avec sursis pour les violences contre son fils, et six mois avec sursis pour les violences à son encontre à elle.

C'est avec la capitaine Caroline Canivez, la cheffe de l'unité de protection sociale, dont fait partie la brigade de protection de la famille, que la visite se poursuit. Quand elle est sortie de l’école il y a 20 ans, elle était la seule femme de son service, on l’a donc affectée d'office au service qui s'occupe des violences sur conjoints et sur mineurs. Sa matière de prédilection, précise-t-elle.

Dans les couloirs du commissariat de Lens, à l'étage de la brigade des mineurs
Dans les couloirs du commissariat de Lens, à l'étage de la brigade des mineurs
© Radio France - Ariane Griessel

La cellule couvre un très grand territoire, le bassin minier, touché par la précarité et le chômage. Un contexte qui explique, en partie, la spirale de la violence que vivent des femmes comme Amandine. Une situation qui a duré de longues années, avant que la cellule de Lens l’aide à se reconnaître comme victime. Elle raconte le déclic, un soir à la maison, après "l'apéro de trop" :

Mon mari s’énerve. Les insultes et les coups fusent sous les yeux des enfants. A ce moment-là, quand ça se passe devant les enfants, on se dit stop, c'est plus possible. Je n'ai rien dit mais j’ai tout préparé en cachette. J’ai fait les valises. J'ai prévenu mes parents, je leur ai donné une date, une heure, je leur ai dit 'il sera absent, je pars''

Depuis deux ans, la cellule de traitement des violences sexuelles et sexistes est chargée de recontacter dans les 48h les victimes qui ont fait appel aux services de police. Tous les matins, deux agents reprennent la liste des dépôts de plainte et mains courantes de la veille, et rappellent, une à une, les personnes concernées. Ce matin-là, Claire, gardien de la paix, est au bout du fil :

Qui est-ce qui a fait ça, c'est Monsieur ? Et vous avez vu un médecin pour faire constater tout ça ? Vous pouvez encore le faire, Madame..".

Des SMS "quand Monsieur est présent"

Encore une fois, son interlocutrice n'est pas prête à déposer plainte, mais Claire lui envoie les coordonnées d'un juriste pour étudier la question. Les policiers travaillent avec des partenaires pour proposer une prise en charge complète, explique la capitaine Canivez :

Leur but est d'apporter une aide aux victimes, en termes juridique, psychologique et social. Cela peut être une demande de relogement, un soutien psychologique. C'est un travail à temps plein. Depuis deux ans, elles ont recontacté plus de 7400 victimes.

La conversation doit être discrète, et quand l'agent tombe sur le répondeur, il ne décline pas sa qualité de policier. Pendant le premier confinement, au printemps dernier, Claire a gardé le lien avec une victime, par SMS, pour ne pas éveiller les soupçons du mari:

Quand Monsieur est présent et qu'on le ressent au niveau de la discussion, on leur dit, 'écoutez, quand Monsieur part, rappelez-nous'."

Les policiers du commissariat de Lens font régulièrement le point sur leurs dossiers avec la magistrate Anne-Laure Le Galloudec, substitut du procureur au parquet de Béthune, qui dirige ces enquêtes:

Souvent les policiers vont faire une enquête de voisinage, quand il y a des enfants on va parfois à l'école, voir quelle information on peut également tirer du système scolaire. Après nous avons le certificat médical, mais quand nous n'avons pas ces éléments probants, nous allons chercher à étendre un peu notre enquête. Etant précisé que le doute profite toujours à la personne mise en cause.

C'est à la magistrate d'évaluer si les preuves sont suffisantes pour engager des poursuites. Anne-Laure Le Galloudec dit être marquée par ces témoignages d'enfants, ou ces appels à Police secours, "Papa a tapé Maman", premiers éléments enregistrés dans certains dossiers.

Penser à la vie d'après

C'est justement pour protéger ses enfants qu'Amandine a décidé de quitter le domicile conjugal avec ses quatre enfants, après 19 ans de vie commune. La mère de famille continue à être harcelée par son ancien conjoint durant plusieurs mois. Il l'appelle parfois en pleine nuit, menaçant de se suicider. Dans sa reconstruction, Amandine a pu compter sur le soutien de sa famille et sur l'aide du commissariat. Elle enjoint les victimes de violences à "penser à la vie d'après".

Le capitaine Caroline Canivez a souvent rencontré cette situation d'emprise. Elle sait qu'il faudra un long accompagnement pour en venir au bout :

Il faut de longues années de souffrance avant que le déclic se fasse et qu'elles osent franchir le pas de quitter le domicile et de venir déposer plainte. C'est malheureusement souvent le cas de femmes qui ne veulent pas voir ou ne peuvent pas voir ce qu'elles sont en train de subir.

Le parcours d'Amandine est l'un de ceux qui confortent les policiers de Lens dans leur action. 

En 2019, 146 femmes et 27 hommes ont été tués par leur conjoint ou ex-conjoint.

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